©Valéry Giscard d'Estaing

Europa, la dernière chance de l’Europe de Valéry Giscard d'Estaing

parFrançois LAFOND, conseiller spécial du vice Premier ministre en charge des Affaires européennes de la République de Macédoine du Nord

Articles de la revue France Forum

C’est entendu et cela a été répété comme une évidence lors de sa disparition, en décembre 2020, le président Valéry Giscard d’Estaing a été l’homme d’État qui, plus qu’aucun autre, a contribué à façonner l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui.

 Il n’est pas nécessaire de revenir sur la mise en place du Système monétaire européen (SME) préfigurant une monnaie commune, sur la création, en 1977, du Conseil européen et sur l’élection, en 1979, au suffrage universel du parlement européen, si ce n’est pour en comprendre les trois soubassements intellectuels : un meilleur fonctionnement économique du marché, une responsabilité accrue des chefs d’État et de gouvernement dans la prise de décision et une légitimité démocratique renforcée. De même, l’extraordinaire doigté nécessaire lors de l’exercice conventionnel (2002-2003) pour œuvrer à la belle confection d’un traité constitutionnel, qui, malheureusement, sera rejeté à l’issue du référendum de 2005, demeure bien gravé dans les manuels. Cependant, on oublie de lire et de mentionner ce qui devrait être considéré comme son testament européen. La lucidité et la liberté de ton caractérisent le livre Europa, la dernière chance de l’Europe. Pas uniquement pour le diagnostic établi, hélas bien trop familier, ou ses explications, mais pour des propositions ciselées et cohérentes bien que provocatrices. Et empreintes d’une forme de pessimisme car, à leur lecture, il est facile de douter de la volonté et de la capacité des gouvernants actuels à les mettre en œuvre. Pourtant, s’il avait raison ?

À partir du constat des élargissements successifs, qui n’ont pas été accompagnés simultanément par des réformes qui auraient dû poursuivre l’intégration, le président Giscard d’Estaing recommande de se fixer un « nouvel objectif et une jeune ambition à la construction européenne  ». Rejetant l’idéalisme fédéraliste, il propose de repartir avec douze états constitutifs de cette nouvelle « Europa ». L’ambition, toujours la même, est de créer sur le continent européen une puissance économique capable de rivaliser avec ses grands concurrents. Cela n’étonnera personne que le point de départ passe par la réalisation d’«  une union monétaire, budgétaire et fiscale, à l’espace homogène, dotée à terme d’un trésor public, et d’un mécanisme de solidarité financière ». Insistant sur l’unification fiscale (réalisable en une période de quinze ans) et tout en rejetant la possibilité de mutualiser de la dette, il préconisait la «  possibilité d’émettre des emprunts communs de la zone euro, par le biais d’un trésor public d’Europa  ». Vraiment ? N’est-ce pas ce qui a été proposé par le couple franco-allemand en mai 2020, puis péniblement accepté par les 27 au cours de l’été de la même année ? VGE a toujours été très critique à l’égard de la Commission européenne, principal élément de distinction avec Jacques Delors dont il reprend, cependant, l’expression « fédération d’États-nations » pour qualifier cette nouvelle étape d’intégration. Si le principe de la double majorité perdurait, le droit de veto disparaîtrait dans ce schéma qui pourrait être organisé par une simple « charte d’intégration économique » à laquelle les parlements nationaux des douze pays seraient pleinement associés, complétés d’un tiers de députés européens de ces pays, à l’occasion de la convocation d’un « congrès des peuples d’Europa », à Strasbourg. Certes, le secrétariat de cette Europa, dénommé directoire, ressemble à s’y méprendre à une petite Commission européenne dont le président et le vice-président pourraient, à terme, être élus par ce congrès. Les lignes conclusives du livre ressemblent à la supplique d’un sage qui, à près de 90 ans, cherchait encore à indiquer les meilleures voies de notre futur. Son complice d’une vie, Helmut Schmidt, en plus d’une préface parfaitement en syntonie, endossait ce projet « qui vous appartient ». Et la simplicité du dernier message ressemble bien à un impératif : « nous vous demandons de réussir. » Le défi est lancé ! 


XO éditions, 2014 - 16,90 €

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