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Le dictionnaire du sens interdit - Inspiration

parAndré LE GALL, écrivain

Articles de la revue France Forum

BARBARIE FRANÇAISE. 

Vu les circonstances, il est urgent de compléter la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Proclamons donc le droit pour chacun de n’être pas décapité, poignardé, égorgé, incendié, battu à mort, déchiqueté par des engins explosifs, exterminé à la kalachnikov. C’est à prévenir et réprimer ces crimes que doit s’appliquer l’état, et sans attenter aux libertés de culte, de conscience, d’expression, d’enseignement.
 

INSPIRATION. Sous le titre « Une gorgée de poison », François Mauriac rend compte, dans Le Figaro du 8 juin 1934, de la représentation de Tristan et Iseult dirigée par Furtwängler, à laquelle il a assisté le 29 mai précédent. Prodigieux article ! Et qui témoigne dela vérité de l’émotion ressentie par le maître de plume de Malagar. Soir de gala à l’opéra de paris, messieurs en frac, dames en robe de soirée : par excellence le décor de convention, avec ses figurants costumés, assurés d’échapper aux émotions communes. Vaine précaution ! « Les nappes de violons, les cordes à l’unisson, les cuivres, avec une douceur terrible, ont déjà réduit ces hommes et ces femmes à n’être plus qu’eux-mêmes ». Sous les feux tournants du projecteur mauriacien, les visages s’éclairent, chacun d’eux livrant « sa pauvre histoire », chacun d’eux s’exprimant par le même cri muet : « Moi aussi ! Moi aussi ! » Moi aussi quoi ? « Tous ils ont été, ils veulent avoir été, à une minute de leur vie, cet homme et cette femme confondus sur ce banc de pierre, dans la nuit assoupie. » Fiction ! En réalité, « ils ont aimé sans être aimés, ils ont été aimés sans aimer ». En même temps qu’elle épouse l’ample mouvement de la musique et du chant, l’âpre phrase du chroniqueur transcrit comme un sismographe la soif et la faim qui tourmentent les âmes dans cette foule mondaine au sein de laquelle lui-même se recueille, transporté par ce qui monte de la fosse d’orchestre et par ce qui se déclame sur la scène. En quoi consiste cette « gorgée de poison » que Mauriac dit avoir absorbée lors de cette représentation de l’opéra de Wagner ? En ceci : « En même temps qu’il nous force de croire en l’innocence des amants, l’enchanteur de Tristan nous oblige à nous attacher, dans la créature, à ce qu’elle a d’éphémère… oui, ce soir-là, se trouvait une fois de plus vérifiée la parole d’André Gide, qu’aucune grande œuvre d’art ne s’accomplit sans la collaboration du démon. » Voyons cela. D’abord, rien n’oblige l’artiste à proclamer l’innocence des amants et, s’il la proclame, rien n’oblige le spectateur à le croire. Racine ne pense pas que Phèdre soit innocente. Quant à la catharsis qui s’opère dans l’éphémère de l’instant théâtral, elle témoigne de la capacité de l’art à faire jaillir la part d’éternité que recèle le moment vécu. Que l’artiste ait à explorer sans complaisance les abysses où grouillent les puissances du mal en action dans le monde, que la fébrile frénésie du triste archange et de ses serviteurs forme une part inéluctable du matériau brut dont il se sert pour édifier son œuvre, on ne peut qu’en convenir. Il reste que l’inspiration de l’artiste, loin qu’elle lui vienne du triste archange, trouve sa source dans le frémissement, certes affaibli mais néanmoins tumultueux, du souffle divin dont la Genèse dit qu’il agitait la surface des eaux avant même que la lumière fût. La beauté ne vient pas du diable quelque effort qu’il fasse pour s’en emparer. Elle vient de la divine image que l’artiste porte en lui. Qu’il soit expert dans l’art d’élucider les ruses du maléfique ne fait pas de lui son complice. Du moins reste-t-il maître de ses alliances. François Mauriac concède d’un trait de plume aux complaisances et aux ambiguïtés de l’esthétique gidienne, ce que, précisément, il faut à toute force lui refuser. Pour l’artiste, il y va de tout.

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