L'importance géostratégique des Balkans

parSuad BECIROVIC, professeur à l'Université internationale de Novi Pazar (Serbie)

Articles de la revue France Forum

Du bon usage d’observer une carte géographique…

« Balkanisation », « route des Balkans » ou « guerres des Balkans »… trop souvent, les termes relatifs aux Balkans ont une connotation négative et renvoient à des situations problématiques. En rester à ces stéréotypes serait oublier l’intérêt stratégique pour l’Union européenne (UE) de la situation géographique des Balkans, portes du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de la Russie.


LE POTENTIEL ÉCONOMIQUE. Un atout majeur des Balkans est relatif aux questions énergétiques et, plus particulièrement, au transport de gaz naturel. L’UE est le plus gros importateur de gaz naturel du monde et l’une des voies d’acheminement passe par les Balkans. Ceux-ci jouent un rôle essentiel dans le pompage du gaz russe et azéri à destination de l’Europe centrale. Après l’échec du projet de gazoduc South Stream, la Russie et la Turquie travaillent de concert au lancement du projet Turkish Stream : le gaz naturel russe transitera par la Turquie, avant d’être acheminé en Europe centrale via les Balkans grâce au tesla Pipeline. Afin de réduire la dépendance européenne au gaz russe et de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, la Commission européenne a initié le projet de corridor gazier sud-européen, visant à acheminer du gaz azéri depuis la mer Caspienne et le Moyen-Orient vers l’Europe1. L’un des moyens de faire transiter le gaz azéri vers l’UE est d’avoir recours au gazoduc transanatolien fraîchement inauguré, qui achemine le gaz d’Azerbaïdjan à la Turquie, puis de la Grèce à l’Italie en passant par l’Albanie et la mer Adriatique, pour terminer sa course en Europe occidentale. Le groupe Interconnexion Azerbaïdjan-Géorgie-Roumanie (AGRI) constitue aussi une possibilité pour assurer le transport du gaz azéri vers l’Europe centrale via les Balkans.
 

LES DÉFIS. En dépit du potentiel que confère aux Balkans leur emplacement sur une future route commerciale d’envergure, la reprise économique se poursuit à un rythme relativement lent. Le crime et la corruption y sont pour beaucoup. La proximité des Balkans avec l’Europe centrale et occidentale en fait une destination attractive pour les entreprises, licites comme illicites. C’est aussi un point de passage majeur du trafic de stupéfiants et de la traite d’êtres humains. Selon l’Onu, les Balkans constituent l’un des principaux couloirs du trafic d’héroïne entre l’Afghanistan et l’Europe occidentale2. En dehors du crime organisé, les combattants étrangers de retour des théâtres de guerre au Moyen-Orient et en Ukraine posent aussi un sérieux risque pour la sécurité.

Le problème de la corruption concerne toutes les couches de la société, à commencer par l’élite politique qui ne se prive pas de détourner l’attention de la population en créant des conflits à partir de problèmes historiques pour masquer son incompétence ou des détournements de fonds publics. Les transactions obscures, les privatisations et les investissements de sources non identifiées gangrènent cette zone où l’État de droit et le développement des institutions démocratiques n’ont pas encore atteint un degré de maturité satisfaisant. Conséquence de cette évolution : un exode de la jeunesse des Balkans vers l’UE en raison de la dégradation des conditions générales de vie. Les données statistiques montrent que la population des pays des Balkans diminue à un rythme alarmant3.

Les Balkans ne représentent pas seulement un enjeu géostratégique pour l’UE, mais aussi pour d’autres grands acteurs internationaux comme la Chine, la Russie et la Turquie. En effet, avoir une influence politique dans les pays des Balkans se révèle indispensable pour contrôler les routes commerciales. Si la Turquie et la Russie y possèdent des liens historiques, l’influence politique du nouveau venu qu’est la Chine s’amplifie, moyennant des investissements essentiels dans les pays membres et non-membres de l’UE. Dans le cadre de sa nouvelle route de la soie, la Chine considère les Balkans comme porte d’entrée au marché européen. Les entreprises chinoises s’appliquent donc à bâtir les infrastructures nécessaires et à augmenter leurs investissements directs dans la zone. Toutefois, l’UE n’est pas en reste et contribue aussi largement au financement des projets d’infrastructures dans les Balkans. La Grèce bloquant une déclaration de l’Union européenne aux Nations unies qui se voulait critique à l’égard de la situation des droits de l’homme en Chine est l’exemple le plus criant de l’influence croissante de l’Empire du milieu dans les Balkans4. La Russie fait, elle, son possible pour empêcher les pays des Balkans de devenir membres de l’Otan – sans grand succès cependant, à en juger par le précédent du Monténégro.

Tous les États des Balkans ont un point commun : l’UE est leur principal partenaire commercial. Forte de cette influence, l’UE doit insister sur l’État de droit et le respect des droits de l’homme. En parallèle, il est important d’associer les populations des pays concernés au développement économique. En l’état actuel des choses, celles-ci quittent leur pays d’origine pour l’UE. Celles et ceux qui restent semblent condamnés à assister au déferlement de marchandises étrangères sur leur pays. Or, l’absence de développement économique alimente l’instabilité politique et la montée de la criminalité et de l’extrémisme.

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