Les Balkans : frontière de l'Union européenne ou couloir économique chinois ?
Articles de la revue France Forum
Entre Bruxelles et Pékin, leur coeur balance !
Actuellement, les gouvernements de la région des Balkans se trouvent dans la délicate situation de devoir concilier coopération avec des puissances régionales et mondiales qui déploient de nombreux efforts pour accroître leur influence dans la zone et choix stratégique d’adhérer à l’Union européenne (UE). Contrairement aux acteurs qui entretiennent des liens historiques avec les Balkans, à savoir la Russie et la Turquie, la Chine fait figure de nouveau venu sur la scène balkanique.
LES INITIATIVES GÉOSTRATÉGIQUES CHINOISES. Le principe de non-différenciation entre grands et petits États constitue la base fondamentale de la politique étrangère chinoise. En vertu de ce principe, la Chine accorde la même importance aux pays les plus modestes qu’aux pays les plus puissants et s’efforce de fonder ses relations sur le partenariat et le bénéfice mutuel. En réalité, les pays des Balkans et leurs voisins d’Europe centrale et orientale (ECO) sont objectivement trop petits et trop nombreux pour que la Chine y consacre beaucoup d’attention et de ressources. Cependant, en raison de leur position géographique au cœur de la nouvelle route de la soie (NRS), ils occupent une place non négligeable dans la stratégie globale chinoise. Cette initiative, lancée en 2013, vise à accentuer la coopération entre la Chine et soixante-cinq pays d’Asie et d’Europe, notamment à travers le renforcement de la connectivité des infrastructures et des liens économiques. Elle suit le tracé des routes commerciales historiques menant de la Chine à l’Europe occidentale, devenue aujourd’hui la première destination des exportations et des investissements chinois.
C’est dans ce cadre que seize pays d’ECO, Balkans compris, ont rejoint la Chine au sein d’une initiative baptisée « 16+1 », dans l’espoir de mieux capter son attention et ses bonnes grâces. En dépit des ambitions initiales de la Chine d’appréhender cet espace européen comme une seule et même région, ni les pays d’ECO ni les Balkans ne se considèrent ainsi. À ce titre, aucune stratégie commune n’est définie afin de compenser l’asymétrie qui caractérise leurs relations commerciales avec la Chine. Bien au contraire, les pays des Balkans occidentaux (à l’exception du Kosovo, puisqu’il ne participe pas à l’initiative 16+1) qui n’appartiennent pas à l’UE se livrent à une concurrence interne pour attirer les investissements chinois, moyennant des conditions proches du dumping en termes de subvention et de fiscalité – ce qui accroît, dans le même temps, leur dépendance aux exigences chinoises.
Pourtant, malgré des promesses grandiloquentes, les Balkans n’ont que très peu profité de la NRS et n’ont bénéficié que de 3 % du total des investissements directs étrangers (IDE) chinois effectués en Europe centrale et orientale. Alors que les Balkans ont besoin d’investissements dans des installations nouvelles ou existantes pour soutenir la croissance économique et réduire le chômage, la Chine privilégie les fusions et acquisitions lui permettant d’accéder à des nouvelles technologies, à des marques et à des marchés d’envergure. Ce décalage constitue un sérieux obstacle au renforcement de la présence chinoise dans la région via le secteur privé. En ce qui concerne les investissements dans le secteur public, la Chine fait un peu mieux, tous pays confondus, hormis en Albanie, où les entreprises chinoises ne se sont vu attribuer aucun contrat public. La Chine reconnaît que ce sont les infrastructures routières et énergétiques qui nécessitent le plus d’investissements publics dans les Balkans. D’une part, le développement des infrastructures dans les Balkans occidentaux est inférieur de moitié à la moyenne de l’UE. D’autre part, il se révèle extrêmement difficile pour ces pays aux budgets nationaux limités d’obtenir les financements nécessaires. C’est la raison pour laquelle ils ont chaleureusement accueilli la mise en place d’un fonds de 10 milliards de dollars de prêts pour les infrastructures dans le cadre de la coopération 16+1.
LA NÉCESSITÉ DE COMPROMIS. Ces prêts s’accompagnent de taux d’intérêt très faibles lorsqu’une entreprise chinoise se voit confier la mise en œuvre des projets de ce type, c’est-à-dire sans passer par un appel d’offres public, ce qui est contraire aux normes européennes que les Balkans occidentaux sont tenus de respecter. Par ailleurs, étant donné leur taille et leur financement à l’aide de prêts assortis de garanties nationales, ces projets entraînent une augmentation importante de la dette publique, jusqu’à dépasser dans certains cas, comme le Monténégro, le plafond de 60 % du PIB fixé par l’UE. Les projets individuels se heurtent à des difficultés supplémentaires, à l’image de l’autoroute du corridor 8 de Macédoine, qu’est venu entacher un scandale de corruption présumée impliquant de hauts responsables gouvernementaux.
Tout cela contribue à donner une image de plus en plus déplorable des projets d’infrastructures financés par la Chine tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale tout en alimentant les critiques des institutions européennes chargées de préparer l’adhésion de ces pays à l’UE.
Les Balkans occidentaux sont en mal d’une vision européenne claire depuis trop longtemps, ce qui a compromis leurs perspectives en matière de développement socio-économique et d’amélioration de la qualité de vie. En témoigne leur PIB moyen par habitant actuel, qui se situe à un tiers seulement de la moyenne de l’UE. L’indice de capital humain s’élève à 62 %, contre 75 % en moyenne dans l’UE. Plus de la moitié de la jeunesse des Balkans occidentaux envisage de s’expatrier. Par conséquent, une adhésion à l’UE et une coopération avec la Chine ne sont pas nécessairement incompatibles, à condition de ne pas faire marche arrière s’agissant des règles, des standards et des obligations de l’UE. En outre, leur adhésion à l’UE étant dans l’intérêt de la Chine, l’empire du Milieu semble indiquer qu’il n’ignore pas les difficultés et qu’il est disposé à tirer les leçons et à s’adapter aux « règles du jeu ». C’est pourquoi un mélange de différentes stratégies bien conçues visant à accélérer le développement de la région serait positif à la fois pour les pays eux-mêmes et pour leur adhésion à l’UE.