Échec à l'Europe, évitons le mat !
Articles de la revue France Forum
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La tristesse des fédéralistes européens est dorénavant partagée par la plupart des observateurs tant le vote des Britanniques, lors du référendum du 23 juin 2016, a modifié la scène européenne. Comme si tous étaient surpris du résultat alors que les Britanniques n’ont fait qu’entériner ce que leurs dirigeants et la presse nationale n’ont cessé de marteler, sur tous les tons, depuis des décennies, excepté lors de la période blairienne. Pour eux, l’Europe devait se limiter à un grand marché intérieur, le plus vaste possible (en favorisant les élargissements) et avec le moins de réglementation supranationale (en refusant toute mesure protectrice). Membre certes important, le Royaume-Uni se situait néanmoins à la marge de l’Union européenne puisque ne participant ni à l’euro ni à l’espace Schengen et bénéficiant d’un traitement de faveur dans différents domaines. Les dernières concessions obtenues par le joueur David Cameron lors du Conseil européen extraordinaire du 19 février 2016 étaient illustratives de cet esprit anti-Bruxelles.
Paradoxalement, certains pourraient considérer le moment propice pour approfondir l’intégration européenne à partir de la zone euro. Des propositions existent depuis longtemps (présidence permanente assurée par un vice-président de la Commission, mise en place d’un comité composé des parlementaires européens des 19 avec des représentants des parlements nationaux, convergence fiscale, création d’un livret « E » géré directement par la BCE), mais se heurtent au refus poli du couple franco-allemand.
Devant le drame migratoire, l’espace Schengen offre aussi une source idéale de renforcement de l’unité avec l’accélération de la mise en place de gardes-frontières européens, le renforcement des moyens logistiques de Frontex, une définition européenne des critères du régime d’asile commun et la mise à plat de notre politique migratoire et de sa gestion en partenariat avec les pays de notre voisinage. Il ne serait pas forcément nécessaire de modifier les traités. Là encore, la solidarité européenne, traduction de nos valeurs si fièrement brandies, est rudement mise à l’épreuve !
« Brexit means Brexit.» À bien y réfléchir, pourquoi diable le Royaume-Uni qui a toujours considéré ses intérêts nationaux plus importants que tout au sein de l’Union devrait-il maintenant larguer les amarres au plus vite, alors que son intérêt est, de toute évidence, de ne pas activer rapidement l’article 50 du traité de Lisbonne, qui officialisera le début des négociations d’une séparation assurément longue, complexe et castratrice ?
Le Brexit est un excellent révélateur de l’état de l’UE et des logiques politiques nationales à l’oeuvre. Les institutions européennes sont plongées dans un évident désarroi que le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a qualifié, dans son discours sur l’état de l’Union le 14 septembre dernier, de « crise existentielle », évoquant de « nombreux problèmes irrésolus » et proposant un « agenda positif d’actions concrètes ». De son côté, le Parlement européen continue d’oublier qu’il est le principal garant de la légitimité populaire européenne et ne semble pas prendre la mesure du coup porté.
On peut dès lors regretter que la France ne soit plus vraiment en mesure de peser dans le concert européen, par absence de vision et de narration européennes, par manque de conviction certainement et par non-respect des règles communes aussi. Laissant ainsi la chancelière allemande avancer ses pions à sa guise. Comme si le géant économique allemand était las de payer pour les autres, sans reconnaissance aucune. Cela se traduit par des coopérations, variables, entre états. De l’intergouvernemental pur. La logique supranationale a disparu. à l’heure du réveil des nationalismes et des populismes les plus démagogiques, c’est de toute évidence un retour en arrière, un échec pour l’Union. Pourra-ton éviter le mat ?