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Exposition : Les Borgias et leur temps

parFrançoise COLIN-BERTIN, vice-présidente de l'institut Jean Lecanuet

Articles de la revue France Forum

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Le seul nom de Borgia fait frémir. Les écrivains de tout temps, tels victor Hugo et Alexandre Dumas, les compositeurs comme Donizetti, les cinéastes et producteurs de séries télé se sont emparés de la sulfureuse réputation de cette famille toujours mythique. Période de troubles tant sur le plan politique – conflits entre les cités et les duchés italiens, guerres avec la France pour la conquête du royaume de Naples, fin de la Reconquista en Espagne et découverte du Nouveau Monde – que religieux – luttes intestines au sein de la curie romaine et mouvements théologiques divers qui ébranlent l’église –, l’Europe est en plein bouleversement. Le monde change complètement en ces années charnières de la fin du XVe siècle, surtout à partir de 1492, date de l’élection du pape Alexandre VI.

L’exposition du musée Maillol ne rentre pas dans les histoires calomnieuses, mais replace les trois principaux personnages de la famille Borgia dans le contexte de cette période à la fois si troublée et si innovante.

Rappelons que les Borgia sont originaires de Valence, qu’ils ont pris vaillamment part à la Reconquête et qu’ils sont déjà parvenus au Vatican avec le cardinal Alonso Borgia élu pape Calixte III. C’est lui qui commence à distribuer des fonctions religieuses et lucratives à ses neveux et cousins, et qui confie à son neveu Rodrigo toutes les dignités ecclésiastiques jusqu’au titre de vice-chancelier du pape, ce qui renforce le sentiment anti-espagnol des Romains. Rodrigo attendra trente ans avant d’arriver à la tête de l’Église sous le nom de Alexandre VI. « Il più carnal uomo » aime le pouvoir, le luxe, les femmes, et perpétue toutes formes de népotisme pour protéger sa famille, principalement les quatre enfants qu’il a eus de la belle Vanozza Cattanei, négocie des alliances en n’hésitant pas à corrompre ses ennemis. Redoutable diplomate, il veut avant tout l’unité italienne et confie à son fils César (avec l’aide de son ami ingénieur Léonard de Vinci) le soin de prendre les villes de la Péninsule pour les contenir dans des seigneuries qui devaient revenir à ses enfants. Machiavel s’inspirera d’ailleurs de César, cardinal duc de Valentinois, pour son traité de politique Le Prince. César renoncera à la pourpre en se rapprochant du roi Louis XII et en épousant Charlotte d’Albret. Lucrèce, après deux mariages malheureux choisis par son père, deviendra duchesse de Ferrare et fréquentera les artistes les plus célèbres grâce à son amie Isabelle d’Este. Elle s’entoura d’humanistes comme Erasme, le poète L’Arioste, de peintres comme Le Titien, Dosso Dossi.

Bien que le climat politique et religieux soit extrêmement complexe et agité – rappelé par le portrait de Savonarole par Fra Bartolomeo –, on est frappé par la douceur, la paix, la finesse des oeuvres de cette fin du XVe qui influeront les plus grands de la Renaissance.

Le Pintoricchio décora l’appartement Borgia au vatican (un Jésus bénissant évoque la délicatesse de son travail) et Piermatteo d’Amelia, les fresques de la voûte de la Sixtine. À Paris, on verra des portraits du Titien, de Vinci, de Melone, ainsi que des oeuvres de Mantegna, de Bellini, du Pérugin, d’une grande spiritualité, qui ouvrent la voie vers Raphaël et Michel-Ange. La plus belle découverte est un modèle de La Pietà, réalisé dans une technique particulière que, d’après les chercheurs, Michel-Ange expérimenta plusieurs fois : de l’argile mélangée à du magnésium pour ressembler à du marbre. une merveille !


Cette exposition se tenait au Musée Maillol, à Paris, du 17 septembre 2014 au 15 février 2015.

Pour en savoir plus : Ivan Cloulas, Les Borgia, Fayard, 1987 ; Marcel Brion, Les Borgia, Éditions Tallandier, 2011 ; Jean Delumeau, La seconde gloire de Rome, Perrin, 2013

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