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La guerre du Dniestr n’aura pas (de nouveau) lieu

parFlorent PARMENTIER, responsable du Laboratoire d’innovations publiques de Sciences-Po, chercheur-associé au Centre de géopolitique de HEC

Articles de la revue France Forum

La Transnistrie aux abonnés absents des états.

La Transnistrie, région séparatiste de Moldavie, est-elle « le plus froid des conflits gelés » ? Si l’on compare avec d’autres conflits séparatistes post-soviétiques, la situation est indéniablement plus calme sur les marges orientales de la Moldavie qu’en Géorgie (guerre de 2008 en Abkhazie et en Ossétie du Sud), au Haut-Karabakh où les récents conflits rejouent ceux de l’après-URSS, ou au Donbass, dernier né des conflits séparatistes (2014).

Pour autant, la métaphore du « conflit gelé » est trompeuse à plus d’un titre : elle suppose une situation figée sur place, ne bougeant guère depuis l’effondrement de l’URSS. Or, au regard de l’évolution des différents conflits, parler de conflits non résolus serait plus juste. En effet, ce qui différencie le conflit en Transnistrie de celui en Gagaouzie, concomitant, tient à la mise en place d’institutions propres au sein même de la république de Moldavie. Le « précédent gagaouze » peut donc servir de précédent positif, même si les différents acteurs n’en tirent pas des leçons similaires. Sur la carte des conflits européens, le conflit transnistrien est le plus susceptible de trouver une solution. 
 

ASSURER LA SURVIE D’UNE ENTITÉ SÉPARATISTE. La Transnistrie bénéficie d’une quasi-indépendance depuis près de trente ans. En effet, les rives du Dniestr1 ont vu s’affronter, au printemps 1992, les forces armées transnistriennes – soutenues par la Russie – et l’armée moldave. L’enjeu : une partie de la Moldavie – ce qui correspondait à 

la région bessarabienne – souhaitait se rapprocher de la Roumanie tandis que l’est du territoire, la Transnistrie, œuvrait pour conserver des liens privilégiés avec la Russie.

Depuis le 21 juillet 1992, le cessez-le-feu n’a jamais été remis en question et, de part et d’autre, l’idée de raviver le conflit n’est pas d’actualité, ni au sein de la classe politique ni parmi la population. Dès lors, quels sont les déterminants permettant d’expliquer l’installation durable d’un statu quo qui suppose, pour la Transnistrie, de trouver les ressources d’une quasi-indépendance ?

Pour assurer son indépendance, la Transnistrie doit à la fois représenter une population, contrôler un territoire et gérer une administration. La population transnistrienne (500 000 habitants, aujourd’hui) se revendique d’une histoire différente du reste de la Moldavie et d’une identité politique particulière, même si la population de part et d’autre du Dniestr est composée de russophones et de roumanophones, dans des proportions différentes. Autour d’un drapeau, d’une monnaie, d’une capitale (Tiraspol), d’institutions politiques, d’un système scolaire, d’une monnaie et de bien d’autres attributs, les autorités transnistriennes gèrent un territoire à l’aide d’un appareil administratif ressemblant à celui d’un état.

Il manque, toutefois, à la Transnistrie l’un des éléments essentiels définissant l’existence d’un état : la reconnaissance internationale. Jusqu’à présent, aucun état, pas même la Russie, n’a franchi ce pas. 

ENTRE STATU QUO ET SCÉNARIOS D’ÉVOLUTION. Dans ces circonstances, dans une situation relativement stabilisée et peu susceptible de se dégrader gravement, quelles sont les évolutions possibles ?

Les facteurs d’évolution tiennent à trois échelles politiques essentielles : à la Transnistrie elle-même, à la Moldavie et à la politique internationale. En Transnistrie même, les chances d’évolution restent limitées : la population, comme dans le reste de la Moldavie, s’est sérieusement contractée (de l’ordre de 15 à 20 %) du fait de l’émigration. L’opposition interne existe, mais son expression est limitée : lors des élections parlementaires de décembre 2020, 39 députés sur 43 étaient directement liés au conglomérat local, Sheriff, et les autres l’étaient de manière indirecte. À l’échelle de la Moldavie, d’autres facteurs de statu quo existent. Des intérêts économiques bien compris et une forme d’acceptation de la permanence du conflit (préférée à une solution mal négociée) plaident pour le statu quo… reste, sans doute, l’échelle internationale. En d’autres termes, l’architecture de sécurité européenne, qui doit tenir compte des intérêts des différents acteurs – la Russie, mais aussi l’Ukraine, la Roumanie et l’Union européenne. En 2010, la chancelière allemande, Angela Merkel, avait négocié avec le président russe, Dmitri Medvedev, le mémorandum de Meseberg dont l’objectif était d’établir une forme de compromis euro-russe en Moldavie. Pour le reste, les négociations hésitent entre petits pas, concessions limitées et blocages politiques. 

Quels sont, dès lors, les scénarios de sortie de crise ? La Transnistrie pourrait aller vers la réintégration, l’indépendance ou le rattachement à un pays tiers. La réintégration est le scénario de travail des négociateurs internationaux, sous l’égide de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) : trouver une solution institutionnelle susceptible de convenir tant aux autorités moldaves qu’aux séparatistes de tiraspol. Or, une réintégration présente trois risques : le premier consisterait à laisser trop de pouvoir à la Transnistrie, cette dernière disposant alors d’une forme de droit de veto ; c’est le danger qui a été conjuré par le rejet du mémorandum Kozak soutenu par la Russie en 2003, mais rejeté par le président moldave, Vladimir Voronine. Deuxième risque : laisser trop de pouvoir au gouvernement central moldave au détriment de la Transnistrie, ce qui ne serait pas accepté localement, ni à Moscou. Troisième risque : laisser des pouvoirs mal répartis. La Bosnie fournit un exemple de mécano institutionnel mal taillé qui empêche tout fonctionnement durable du pays en proie aux tensions internes et aux appétits internationaux. Pour le reste, l’indépendance contreviendrait à de nombreux intérêts liés à la contrebande ; le rattachement à un pays tiers de la Transnistrie, tant la Russie que l’Ukraine, semble difficile alors que ces deux pays sont en guerre.

Le football montre peut-être la voie : c’est au sein du championnat moldave que les équipes transnistriennes jouent. Quel arbitre international mettra la balle au centre pour solder le conflit en réintégrant la Transnistrie à la Moldavie ? 

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1. 1 362 km, plus long que la Loire

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