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La Prémonition de Socrate (Nihilisme et démocratie) de Christian Savès

Articles de la revue France Forum

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Avec ce nouvel ouvrage, Christian Savès s’intéresse à la figure de proue de la pensée occidentale, celle de Socrate. C’est que l’ombre tutélaire du grand homme ne cesse de planer au-dessus de nos têtes. Mais il le fait sous un angle inédit et très actuel : l’étude des rapports entre nihilisme et démocratie. Ce faisant, il enfreint un peu un tabou, tant il est vrai que la démocratie est aujourd’hui sanctifiée et sanctuarisée par le règne de la pensée unique, le « politiquement correct », sévissant et interdisant peu ou prou toute remise en question ou examen critique d’un modèle auquel il ne doit pas être présenté d’alternative et qui a, de ce fait, valeur universelle.

La prémonition de Socrate, c’est celle du caractère intrinsèquement nihiliste de la démocratie. En effet, la démocratie est d’essence nihiliste en ce sens qu’elle procède à la dissociation, à la césure de la vérité et de la politique. Pour l’emporter, en démocratie, il n’est pas nécessaire de dire la vérité : il faut avoir le nombre de son côté. Dès lors, la démocratie apparaît bien comme une forme politique de nature à mystifier ces deux grands idéaux chers au coeur de Socrate : le Juste et le Vrai. D’où la réticence de socrate à l’égard de ce régime, auquel il ne va pas ménager ses critiques.

Seulement, celui qui dénonce à longueur de jour les dérives et autres turpitudes de la démocratie, les rapports de connivence et les non-dits sur lesquels elle se construit aussi, pour s’incarner dans la réalité politique, celui-là devient un homme dangereux. Le philosophe a dit la vérité, il doit être exécuté. Victime d’une conspiration, Socrate sera jugé et condamné. Il y laissera la vie. Mais, son procès, il le retournera contre ses juges, instruisant à son tour, en filigrane de ses propres accusations, le procès de la démocratie athénienne et de sa praxis politique dévoyée. S’il en revient à la question de l’être, par-delà la critique adressée au modèle démocratique, c’est qu’il pressent que le culte de l’égalité et de la liberté, poussé à l’extrême, a fini par dévoyer la démocratie athénienne. Il pressent donc (comme le fera, bien après lui, Martin Heidegger) cette difficulté extrême et même cette impossibilité qu’il y a à penser correctement la question de l’être dans un cadre démocratique.

Dans un style enlevé et à partir d’une connaissance remarquable des grands dialogues platoniciens, l’auteur procède à une démonstration serrée, implacable et d’une grande rigueur intellectuelle de la thèse qui est au coeur de son essai.

Un livre passionnant, parce que non conformiste et à contre-courant, aux résonnances très contemporaines… et qui instruit aussi, quelque part, le procès de notre modernité politique et démocratique. 

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