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La réforme de l'Otan

parAlfred FRISCH

Articles de la revue France Forum

« Rien ne peut faire qu’un traité reste valable intégralement quand son objet s’est modifié. Sans revenir sur son adhésion à l’Alliance atlantique, la France va continuer à modifier successivement les dispositions actuellement pratiquées pour autant qu’elles la concernent.» Cette prise de position du général de Gaulle, sa volonté de faire relever des seules autorités françaises tout élément militaire étranger installé en France, et toutes les forces militaires françaises, ont ouvert la porte à de multiples hypothèses concernant la révision du traité de l’Atlantique Nord. Nous avons demandé à un spécialiste des questions de politique étrangère, Alfred Frisch, de présenter une analyse du problème de l’Otan, et de l’Alliance atlantique, car la décision du président de la République de mettre en cause les modalités d’application du traité de l’Atlantique Nord et la participation de la France à son organisation militaire a suscité une réelle émotion chez nos alliés occidentaux et dans tous les milieux politiques. [...]


LA RENAISSANCE DE L’EUROPE. Commençons par les changements profonds intervenus depuis la signature du pacte en avril 1949. Il y a tout d’abord ce qu’on est en droit d’appeler la renaissance de l’europe. Le pacte Atlantique naquit incontestablement du désir des européens d’être efficacement protégés par les Américains contre la menace soviétique. Ses inspirateurs, en grande partie des Français, ont voulu engager d’une manière définitive les États-Unis en Europe pour la première fois dans leur histoire durant le temps de paix. Ils se sont souvenus des expériences malheureuses des deux dernières guerres mondiales, dans lesquelles l’Amérique n’est intervenue qu’avec un grand retard. Toute hésitation américaine aurait risqué de devenir en 1949 catastrophique pour la liberté de l’europe occidentale. Très probablement, il est aussi exact que le gouvernement de Washington n’a pu obtenir pour cette alliance insolite l’approbation de son parlement que parce que les Américains n’avaient pas l’impression d’entrer dans un système multinational avec des liens réciproques et une aliénation de leur liberté de manoeuvre politique et stratégique, mais qu’on leur demandait uniquement de jouer le rôle d’un protecteur. Il aurait d’ailleurs été inconcevable de penser en 1949 à des partenaires égaux pour les rapports entre les États-Unis et l’Europe. [...]

Cette situation s’est sensiblement transformée selon l’avis général, mais les opinions divergent sur le degré des changements intervenus et sur leurs conséquences pratiques. En effet, si la remontée économique et politique de l’Europe ne fait pas le moindre doute et s’il est politiquement comme d’ailleurs psychologiquement souhaitable de remplacer l’esprit de protection initial par celui d’un véritable partnership, le déséquilibre reste considérable dans le domaine militaire, non pas seulement grâce à la supériorité atomique américaine, mais aussi en raison de la dispersion des efforts de défense européens. [...]


DONNÉES STRATÉGIQUES. Le deuxième changement est d’ordre stratégique et a une double cause, l’équilibre de la terreur atomique et une relative détente internationale en Europe. Sommairement, on peut affirmer que l’Otan a changé de caractère lorsque les Américains ont abandonné la doctrine Norstad pour essayer de convaincre les européens de la justification de la doctrine MacNamara. en tant que commandant en chef des forces alliées en europe, le général américain Lauris Norstad a toujours estimé qu’il serait impensable de défendre Berlin et l’Allemagne contre une sérieuse attaque soviétique sans l’emploi d’armes atomiques. [...] Selon ses vues, le maintien de la paix était assuré principalement par la menace de représailles atomiques. [...]

En même temps, son ministre de la Défense, MacNamara, a calculé les risques qu’une guerre atomique pourrait comporter pour les États-Unis en raison de l’équilibre de la terreur établie dans le monde par les Russes, bien que les États-Unis aient conservé une très nette supériorité. Il en a conclu, avec l’accord de son président, qu’il faudrait tout faire pour éviter une guerre atomique et réfléchir sérieusement avant d’exposer l’Amérique à une destruction massive. Il a donc présenté à ses alliés la doctrine MacNamara, qui transforme l’arme atomique d’une menace de représailles convaincante en ultime recours et qui envisageait, en outre, en cas d’agression l’éventualité d’une guerre conventionnelle d’une durée de quatre-vingt-dix jours. Selon l’opinion du gouvernement américain, l’Europe aurait dû renforcer sa défense conventionnelle dans une proportion suffisante afin d’être en mesure de faire face avec l’aide américaine à un tel conflit. Mais tous les experts occidentaux ont, entre-temps, constaté qu’une telle réorganisation de la défense européenne est financièrement et aussi militairement impossible. L’Otan n’a d’ailleurs jamais adopté la doctrine MacNamara, mais ce revirement américain l’a privée d’une véritable conception stratégique, sans laquelle une alliance militaire n’a guère de sens. Tandis que la nouvelle pensée américaine servait au général de Gaulle de justification pour la mise sur pied d’une force de frappe nationale et aussi pour le dégagement de la France de l’Otan, parce que l’organisation militaire du pacte atlantique comportait désormais, [...] plus d’inconvénients que d’avantages, l’Allemagne devait se débattre durant des années dans les inquiétudes renouvelées, qui pesaient lourdement sur sa politique européenne et qui obligeaient les États-Unis à des tentatives multiples mais souvent incompatibles avec leurs véritables objectifs, afin de rassurer leur allié préféré en europe. Sur l’Otan planait donc un mélange pénible d’insécurité et d’hypocrisie.

Ce revirement américain a été facilité par une certaine détente internationale, intervenue après la dernière crise de Berlin en 1958 et la crise de Cuba, dont le déroulement a finalement mis fin à la menace soviétique directe contre Berlin. Si certains experts militaires étrangers ont pu reprocher au général de Gaulle de doter la France d’une force de frappe nationale comme instrument essentiellement politique dans la conviction que jusqu’à nouvel ordre aucune guerre ne pourra plus avoir lieu, la doctrine MacNamara a été elle-même rendue possible par la supposition tacite que la sécurité de l’europe n’est plus menacée et que la stratégie saurait donc aisément se permettre le luxe d’évoluer dans des sphères intellectuelles et théoriques. L’alliance montrait dans ces conditions le danger évident de perdre sa raison d’être.

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