Le dictionnaire du sens interdit - Apostasie
Articles de la revue France Forum
APOSTASIE.
Que l’on s’applique à en recenser les prolégomènes, soit, mais à condition qu’il n’entre dans ce recensement aucune complaisance, aucune résignation, aucune apparence d’assentiment ; à condition qu’il s’agisse non d’en sous-entendre la fatalité, voire d’en insinuer la légitimité, mais au contraire d’en refuser la perspective en y faisant face et en organisant la réponse ; rien qui relève de cet envoûtement, de cette fascination qui, dit-on, subjugue la victime au moment où le boa s’apprête à la dévorer ; mais rien non plus qui s’apparente à la xénophobie.
HAINE (DISCOURS DE LA). Qu’il y ait sur le net de véritables appels à la haine, il se peut. Le chroniqueur se tenant délibérément à l’écart des réseaux sociaux, il ne saurait en parler savamment. Le code pénal n’a pas attendu l’antiracisme institutionnel pour faire de l’appel au meurtre un délit. Mais ce qui se profile, ce qui se faufile dans la très vertueuse réprobation contemporaine du discours de la haine, c’est une intolérance viscérale à l’égard de toute contradiction dès lors qu’elle touche au sociétalement correct. Il s’agit, autant que faire se peut, d’enfermer l’adversaire dans la position du quasi délinquant en lui refusant à toute force celle d’interlocuteur. L’extension potentiellement indéfinie de la notion de haine permet aux délateurs de déférer à la justice la simple énonciation de vérités communément admises, mais qui ont le malheur d’être jugées offensantes par quelques-uns, tant il est vrai que la libre expression de l’un est une douleur pour l’autre. Ainsi peut-on commodément invoquer la haine pour se débarrasser judiciairement d’un débat embarrassant en s’économisant la fatigue d’élaborer une réponse argumentée.
CONSCIENCE (CLAUSE DE). IVG. On aura noté cette proposition de loi tendant à supprimer la clause de conscience qui reconnaît aux médecins et personnels de santé le droit de refuser de pratiquer l’avortement ; proposition d’abrogation qui manifeste un mépris ostentatoire à l’égard des professionnels médicaux que l’on entend réduire à l’état d’exécutants passifs ; attentat totalitaire à l’encontre des injonctions les plus intimes de la conscience.
SOUVENIRS. La surprise de la vie, c’est qu’un jour on finit par avoir des souvenirs qui, à force d’être antiques, revêtent une allure historique. 3 juillet 1940. Mers el-Kébir : il faut s’être trouvé, à trois ans et demi, dans une ferme située à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Brest, au milieu des landes, des garennes et des prairies surplombant la rade, balayées par les grands vents du large, il faut s’être trouvé sur cette terre de marins de la marine de guerre pour mesurer le retentissement dans la conscience collective de ces quatre syllabes. Cela tonnait, cela roulait comme un torrent dans les conversations. Mille deux cent quatre-vingt-dix-sept marins morts ou disparus, trois cent soixante-dix, blessés, brûlés : c’était la stupeur, l’incompréhension, en sorte que ces quatre syllabes, Mers el-Kébir, continueraient de tonner et de rouler dans la mémoire, engrangées pour jamais, témoignage ineffaçable des heures tragiques de la grande Histoire en train de s’accomplir. Mers el-Kébir, assourdissant roulement de tambour dont l’écho va s’affaiblissant à mesure que passent les décennies et que s’éclaircissent les rangs de ceux qui en furent les contemporains abasourdis, mais qui, pour eux, continue de retentir de toute sa puissance dans les profondeurs de la conscience.