FF 61 - Visuel LE GALL - PANORAMA

Le dictionnaire du sens interdit - Histoire (Sens de l')

parAndré LE GALL, écrivain

Articles de la revue France Forum

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Dieu ayant été indûment proclamé mort par l’arbitraire d’une sentence nietzschéenne, il a bien fallu inventer une chimère pour occuper le siège vacant. On y a fait monter l’Histoire, on lui a solennellement confié la charge du jugement, on a déclaré que ses arrêts décideraient du bien et du mal. Aussitôt, les maîtres et leurs assujettis se sont rués à l’assaut de cette chimère, assurés que, s’ils s’en emparaient, c’est à eux que reviendrait la gloire de gouverner l’avenir et, par effet, en retour, le passé. Lénine, Staline, Hitler, Mao, le XXe siècle nous a offert quelques spécimens hauts en couleur de ces conquérants de l’Histoire. Mais l’Histoire s’est dérobée à eux. Aussi, après s’être avancés au milieu de foules éperdues de dévotion et de soumission, environnés de tout l’appareil de la puissance militaire, enveloppés dans la rumeur torrentielle des chants de guerre, enivrés par la louange des thuriféraires en état de servitude volontaire, il leur a bien fallu subir le sort commun, chacun d’eux se voyant réduit à sa pauvre humanité mortelle, laissant seulement aux générations le souvenir de leurs tyrannies féroces et exterminatrices. Il reste qu’il y eut des moments de l’Histoire où il a pu sembler que chacun de ces personnages était porté par les puissances venant du futur. L’échec sanglant de ces entreprises totalitaires du passé ne nous protège aucunement contre un nouveau totalitarisme que l’avenir porterait dans ses flancs. Les activistes de la servitude sont à la manoeuvre, guettant les pensées, organisant les surveillances et les délations, exerçant leur emprise aux relents douceâtres, disposant à cet effet d’une technologie foisonnante. Les lois de l’étouffoir se multiplient comme des cellules cancéreuses. Amère pensée, il nous aura été donné d’assister au service funèbre de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement… » Funérailles inavouées, inavouables, clandestines. Et comment qualifier les intimidations pénales que recèle en ses bas-fonds la loi Égalité et citoyenneté ? Les déconstructeurs philosophiques ayant arasé le champ du savoir, leurs agents politiques ont débarrassé le fronton des monuments et l’édifice des lois de tout ce qui pouvait rappeler les identités fondatrices, ménageant dans les institutions et les corpus juridiques les voies favorables aux soumissions à venir. Si, ce qui jamais n’arrivera, les ordonnateurs d’apostasie parvenaient un jour à se saisir des âmes en état d’amnésie, à les entraîner dans l’ensommeillement cauchemardesque qui les sollicite, il resterait aux esprits libres à signifier par avance, sans forfanterie ni provocation et, bien sûr, sans qu’il s’agisse de fermer la porte à l’étranger, il resterait aux hommes et aux femmes de conviction à signifier que, pour eux, le guet-apens historique ne sera jamais l’instance du jugement. Le bavardage des médiatiques, non plus que celui des historiens, ne sera jamais leur loi. Leur partage, c’est, peut-être, la plus longue mémoire, c’est, à coup sûr, une intime espérance qui les libère du regard des maîtres. Mais, pour l’heure, rien n’est accompli, rien n’est inévitable. Les précédents enseignent que l’avenir n’est pas écrit. Des espaces demeurent où l’on peut respirer un air vif, revigorant, régénérateur. La vie s’y cueille à pleines gorgées. Le printemps se profile. 

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