Le dictionnaire du sens interdit - Résistance
Articles de la revue France Forum
RESISTANCE.
C’est un mot qu’il ne faut employer, dans la polémique, qu’avec prudence, en gardant à l’esprit qu’il y eut un temps où ce mot pesait sur les consciences de tout son poids de torture, de déportation, de mort, un mot qui mérite sa majuscule lorsqu’il s’applique aux hommes et aux sacrifices de ce temps-là. Toute confusion étant ainsi prévenue, toute prétention à l’héroïsme écartée, il demeure néanmoins légitime d’employer le terme de résistance pour qualifier l’attitude des esprits qui, victimes de leur acuité critique ou, si l’on veut, de leur malformation constitutive, se découvrent incurablement allergiques aux injonctions du grand parlophone public. À chaque époque, il existe un discours commun dont l’infinie réitération forme l’opinion dominante, celle qu’il est convenable d’afficher dans les journaux, dans les livres, dans les dîners en ville. Vers 1910, il se diffusait sur la guerre, ses vertus régénératrices, sa probable nécessité, ses justifications historiques, une parole courante, indéfiniment répétée, qui, seule, peut expliquer ces inexplicables images d’illusion collective qui nous viennent du paris d’août 1914, mais aussi de Berlin, et qui illustrent l’annonce du déclenchement du conflit. Le ton de condescendance apitoyée, de suffisance hautaine, d’arrogance moralisatrice des commentaires qui se surajoutent aux bandes d’actualités des années 1930 et 1940 éclaire bien cette idée qu’énonce Ionesco, à savoir que, pour dénoncer un mal passé, il y a pléthore de rhéteurs, mais que, pour dire le mal présent, il n’y a que quelques voix dispersées, promises au silence de l’étouffoir ou à la vindicte des surveillants de la parole publique. On peut sans risque déclamer contre les pratiques sociétales mises en oeuvre par le régime nazi ou rappeler le caractère ravageur pour l’agriculture soviétique des théories lyssenkistes. Mais essayez donc d’attirer l’attention sur le sort des victimes de certaines pratiques légalement autorisées en France ou sur les méfaits de la théorie du genre ! On a le droit de dénoncer l’entreprise de domination mondiale du nazisme hitlérien ou du communisme soviétique. Mais si, sans qu’il s’agisse de fermer la porte à l’étranger, vous mettez en lumière la menace d’apostasie qui plane aujourd’hui sur l’Europe, attendez- vous à des mises en garde, à des semonces, à des admonestations, à des rappels à l’ordre. C’est que le nazisme hitlérien et le communisme soviétique sont sortis de notre présent alors que la théorie du genre, l’apostasie et les dérives légales en vigueur appartiennent au quotidien le plus actuel. La cécité n’est pas une vertu. Encore quelques décennies et le jugement que l’on portera sur notre temps se fera aussi accusateur que celui que nos autorités médiatico-morales les mieux payées du PAF (paysage audiovisuel français) portent sur les heures les plus sombres de notre histoire. D’autres justiciers auront remplacé les nôtres. L’important pour qui tient une plume est de n’avoir pas été complice. D’où la vertu d’une rubrique telle que « Mots et Humeurs » et de sa chronique Dictionnaire du sens interdit. par son titre même, une telle rubrique écarte toute idée d’une parole qui aurait valeur éditoriale. En contrepartie, elle ne saurait s’accommoder, pour l’auteur, que de la libre inspiration du moment.