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Quand la Corse révolutionnait la philosophie politique d'Antoine-Baptiste Filippi

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

En Corse, on sait depuis Napoléon Bonaparte que la valeur n’attend pas le nombre des années.

Encore étudiant en droit à la Sorbonne, mais déjà chercheur en philologie du politique, Antoine-Baptiste Filippi signe, avec son essai La Corse, terre de droit, une contribution remarquée à l’apport de son île natale aux théories constitutionnelles modernes. Son ouvrage a reçu, dès avant sa publication, le prix Morris L. Ghezzi 2019 de l’université de Milan : voilà une raison supplémentaire de s’y plonger.

Génoise jusqu’en 1769 et sa cession à la France du roi Louis XV, la Corse a connu, dès la première moitié du XVIIIe siècle, une effervescence intellectuelle propre à bousculer le joug de la domination ligurienne qui pesait sur elle. Tout commence, ou plutôt reprend, en 1729. Cette année-là, la ville de Bastia est pillée par des insurgés désireux d’en finir avec la tutelle génoise. C’est le début de quarante années de lutte pour l’indépendance. En 1736, un éphémère royaume des Corses est proclamé avec, à sa tête, un aventurier allemand, le baron Théodore de Neuhoff (1694-1756), aux idées avancées.

C’est à Pascal Paoli (1725-1807) qu’il reviendra de relever l’étendard des libertés insulaires. Il est élu, dès 1755, « général de la Nation ». Il est l’héritier de l’élan révolutionnaire corse, mais également des Lumières napolitaines marquées par la pensée de Giambattista Vico et par l’héritage de Machiavel. Paoli fait immédiatement adopter une constitution, la première en Europe, instituant une Diète de 300 députés élus par les familles de l’île. L’initiative, fort libérale pour l’époque, sera saluée par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social. L’espoir de voir s’imposer, aux yeux du monde, l’idée d’une Corse indépendante durera près de quinze ans.

Par une ironie de l’Histoire, c’est l’année même du début d’un long exil de Paoli, qui durera jusqu’en 1790, que Napoléon Bonaparte voit le jour, en 1769, à Ajaccio. Dans ses jeunes années, Bonaparte est très sensible à l’idéal paoliste. Le vieux général, dont le nom est connu jusqu’en Amérique, est dans un premier temps acclamé à Paris par les révolutionnaires français. Mais, dès 1793, la rupture est consommée. Avec le soutien de Charles André Pozzo di Borgo (1764-1842), Pascal Paoli s’allie aux Anglais : le royaume de Corse restauré voit sa couronne ceinte par Georges III, souverain du Royaume-Uni et de Hanovre. En 1795, ce dernier rappelle Paoli en Angleterre et, l’année suivante, l’île est évacuée par les Britanniques et réoccupée définitivement par les Français.

L’idéal républicain du royaume de Corse sera transposé à la France par l’empereur Napoléon. C’est toute la force de ce livre de retracer la filiation intellectuelle de ce « libéralisme latin », ouvrant ainsi de nouvelles perspectives d’analyse aux historiens du droit et des idées.


Antoine-Baptiste Filippi,
La Corse, terre de droit. Essai sur le libéralisme latin et la révolution philosophique corse (1729-1804),
« Philosophie », Éditions Mimésis, 2020 – 16 €
Préface de Wanda Mastor
Postface de Olivier Battistini

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