FF 61 - Visuel LE GALL - PANORAMA

Le dictionnaire du sens interdit - Étouffoir et Mots

parAndré LE GALL, écrivain

Articles de la revue France Forum

ÉTOUFFOIR (LOIS DE L’) (SUITE). 

Passion pour la servitude de l’esprit, acharnement tétanique à faire taire la voix discordante : cette fois, ce sont les sites du Net qui sont visés. L’assaut pénal annoncé au mois d’octobre 2016 concernera les sites informatiques qui proposent sur l’IVG une opinion en contradiction ou simplement en décalage avec l’idéologie officielle telle que le gouvernement prétend l’imposer sur son propre site, à tous et à chacun. Seul doit pouvoir se faire entendre le discours prédéterminé conforme à la doctrine d’État en vigueur sur le sujet.


MOTS (SUITE). Les mots sont piégés. Lecteur, apprends à bien les choisir quand tu parles ou quand tu écris. Prends garde à ne pas utiliser les mots qui disent les choses quand les choses offusquent les dames patronnesses du grand parlophone public. Sinon tu risques de provoquer l’un de ces remue-ménage qui secouent périodiquement la planète politico-médiatique, déclenchant la course au dépôt de plainte, le grand concours des indignations convenues, une surenchère de chochotteries bien-pensantes, tout le vaudeville habituel à notre théâtre national avec perquisition dans les placards informatiques, journalistiques et littéraires, exercices de délation vertueuse, appels à la vindicte publique, etc. Prends garde te dis-je : si tu rencontres dans l’ascenseur ton voisin de palier sortant son chien, veille à ne pas employer le mot chien pour désigner la bête. Le mot, s’il est assorti d’un point d’exclamation, a valeur d’injure. Dès lors, l’utiliser pour désigner l’honnête compagnon de ton co-passager peut offenser le maître et, qui sait, traumatiser l’animal. Le délit de caninophobie n’est pas loin. Au demeurant, ces autres mots – bête, animal, maître – sont, eux aussi, chargés de significations potentiellement délictueuses. Le paysan disait : « C’est l’heure de soigner les bêtes. » N’était-ce pas, innocemment, établir une hiérarchie au sein du vivant, confirmer sur le mode du paternalisme naïf la supériorité de l’espèce humaine sur toutes les autres espèces ? L’homme et la femme, profitant de leur acquis génétique, ont établi leur règne dans des conditions dont le langage est le gardien vigilant. Et, d’ailleurs, cette distinction elle-même, homme-femme, n’exprime-t-elle pas au sein du groupe humain une dualité des genres visiblement entachée de sexisme ? Il faudrait trouver un terme neutre qui, ne disant rien, n’offense personne, un terme d’où toute signification aura été éradiquée, mais qui n’entérine aucune hiérarchie latente. On devrait y arriver. C’est par la police des mots que la politique de l’étouffoir étend son empire. La vidange des mots va bon train. À terme, on devrait parvenir à un arasement sémantique qui mette le langage en pleine harmonie avec l’électroencéphalogramme plat auquel accédera le sujet pensant quand il aura été débarrassé de la peine de penser selon la vision de Tocqueville. Seulement voilà : le sujet est rétif. Avec une sournoise obstination, une détermination suspecte, il s’ingénie à ne pas entendre ce qu’on lui répète à satiété. Sans cesse, il renouvelle son refus d’obtempérer. Pas sûr qu’il soit si facile que ça de lui faire la peau ! 

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