Roumanie : le réveil d’une Eglise martyre
Articles de la revue France Forum
« Ne devenez pas latin ! »
La mission gréco-catholique roumaine de France fêtait son 75e anniversaire les 2 et 3 octobre derniers. À cette occasion une messe solennelle a été célébrée en présence de plusieurs centaines de fidèles dans la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre sous la présidence de monseigneur Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, qui représentait monseigneur Michel Aupetit, alors évêque ordinaire des chrétiens orientaux en France. Si cette Eglise très peu connue en France a survécu à son interdiction, en 1948, par le pouvoir communiste roumain, c’est notamment du fait de l’existence de cette paroisse française qui dessert, aujourd’hui, des lieux de culte dans le XVIe arrondissement de Paris et au Blanc-Mesnil auxquels va bientôt s’adjoindre une nouvelle église située à Romainville. Sa croissance actuelle en Ile-de-France s’explique par une récente, mais significative, immigration de travail roumaine, notamment dans les métiers du bâtiment, à la suite de l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne (même si elle encore extérieure à l’espace Schengen).
QU’EST-CE QUE L’ÉGLISE GRÉCO-CATHOLIQUE ROUMAINE ? C’est une Eglise byzantine unie à Rome depuis 1700, c’est-à-dire en communion avec la papauté romaine après avoir rompu avec la communion orthodoxe. Elle a conservé la liturgie dite de saint Jean Chrysostome célébrée en langue roumaine. Ses prêtres peuvent fonder une famille avant d’être ordonnés. Elle est historiquement enracinée en Transylvanie, c’est-à-dire dans la partie de la Roumanie actuelle ayant appartenu à l’Autriche-Hongrie avant 1918. À ce titre, elle a été très liée aux XIXe et XXe siècles au mouvement d’émancipation nationale roumain dans l’ancienne Hongrie. Son ralliement à Rome, vieux de plus de trois siècles, est toujours mal accepté de la religion majoritaire du pays, le christianisme orthodoxe, qui qualifie ces fidèles d’« uniates » (c’est-à-dire unis à Rome), terme à connotation péjorative aux yeux des gréco-catholiques. Pour résumer, disons que cette Eglise est grecque par la forme de sa liturgie, catholique par sa hiérarchie et roumaine par la nationalité de ses fidèles et la langue en usage lors des messes.
En 1948, le régime communiste – qui venait d’abolir la monarchie roumaine – a laissé subsister sous un étroit contrôle le christianisme orthodoxe et le catholicisme latin (célébrant à l’époque en latin la messe tridentine alors en usage dans l’Eglise catholique), mais a formellement interdit le gréco-catholicisme dont l’influence intellectuelle et politique effrayait les nouveaux maîtres de Bucarest. Il n’est, ici, que de rappeler la haute figure du gréco-catholique Iuliu Maniu (1873-1953), président du Conseil des ministres de Roumanie à trois reprises entre 1928 et 1932 et dirigeant du Parti national paysan. Après l’interdiction, s’ensuivirent la confiscation des biens de l’Eglise dissoute, des persécutions contre le clergé et les fidèles qui refusaient de se soumettre et même l’incarcération de plusieurs évêques, dont sept devaient mourir en prison, comme Iuliu Maniu, des suites des tortures qui leur furent infligées. Ces sept évêques martyrs ont été béatifiés à Blaj, en 2019, par le pape François en présence de près de 100 000 Roumains. L’actuel chef de cette Eglise, le cardinal Lucian Muresan (né en 1931), qui a rang d’archevêque majeur dans l’Eglise catholique, a lui-même connu la prison.
Formant une authentique Eglise martyre, les gréco-catholiques n’en ont pas moins, après la révolution roumaine de 1989, fomentée par Mikhaïl Gorbatchev et le Kremlin pour remplacer le couple Ceausescu par d’autres communistes zélés menés par Ion Iliescu, continué à subir les contrecoups de leur interdiction en 1948. Beaucoup de leurs biens d’Eglise ne leur ont pas été restitués. Certains de leurs lieux de culte sont toujours aux mains de l’Eglise orthodoxe qui proteste de sa bonne foi : c’est l’Etat roumain qui leur a cédé ou attribué les biens confisqués aux gréco-catholiques. L’Eglise orthodoxe invoque aussi, face au droit de propriété, un principe contestable de proportionnalité du nombre de fidèles pour conserver les édifices religieux transférés à partir de 1948. Malgré ces difficultés matérielles, un jeune clergé gréco-catholique a vu le jour depuis trois décennies. Il est notamment formé dans un séminaire de Rome, le collège pontifical Pio Romeno fondé par le pape Pie XI, en 1937, sur la colline du Janicule.
C’est donc une Eglise en cours de reconstitution depuis trois décennies, sans guère de moyens financiers. Elle doit faire au mieux malgré un statut canonique d’Eglise orientale unie à Rome qui demeure mal perçu de certains défenseurs de l’œcuménisme voyant en lui un vestige d’un passé révolu, celui où Rome et Constantinople se disputaient la primauté des communautés chrétiennes orientales. Il en est pour preuve la déclaration de Balamand (au Liban) du 23 juin 1993, émanant d’une Commission mixte internationale pour le dialogue théologique, qui évoque « l’uniatisme, méthode d’union du passé » qui « ne saurait être un modèle de l’unité ». Dans ce texte, l’Eglise catholique s’engageait à ne plus faire de prosélytisme auprès des fidèles orthodoxes.
Les choses changent, puisqu’en substance monseigneur Michel Aupetit qui, indépendamment de son statut d’archevêque de Paris, détenait une juridiction diocésaine personnelle sur ceux des chrétiens orientaux de France qui ne disposent pas de leur propre évêque (c’est, par exemple, le cas de la communauté grecque de Cargèse, en Corse) a envoyé, le 3 octobre 2021, un message très clair aux gréco-catholiques roumains : « Ne devenez pas latin ! » En s’écartant de la dimension proprement politique de la question œcuménique telle qu’elle fut abordée de Paul VI à Jean-Paul II, le catholicisme est désormais à même de mieux apprécier et comprendre la richesse liturgique et spirituelle de ses fidèles orientaux. La prise de conscience de cet apport culturel provient également de la solidarité montante des catholiques français avec les chrétiens d’Orient victimes de persécutions dans de nombreux pays.
Trois décennies après la chute du mur de Berlin, l’Eglise gréco-catholique de Roumanie n’a pas encore retrouvé tout son lustre d’antan, mais elle a su démontrer grâce au zèle de ses fidèles et au travail de son clergé que, loin d’être une anomalie de l’Histoire, elle pouvait être un pont entre l’Orient et l’Occident en Transylvanie, mais aussi à Bucarest, Paris ou Rome.