« L'Afrique, c'est le plus grand programme d'énergies renouvelables du monde »
Articles de la revue France Forum
L'électricité, mère de toutes les batailles.
France Forum. – À quel moment vous est venu cet engagement pour électrifier l’Afrique ?
Jean-Louis Borloo. – C’est une longue histoire. En 2008, au moment de la présidence française de l’Union européenne et de la préparation de la conférence de Copenhague, de nombreux déplacements en Afrique pour observer les problèmes de déforestation et d’accès à l’eau ont permis de prendre conscience de la situation. Le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, malheureusement décédé depuis, disait que la lutte contre le changement climatique et ses conséquences nécessitaient un plan massif. En 2009, il a porté cette voix africaine à la conférence de Copenhague avec les président Denis Sassou Nguesso, Jacob Zuma et Ali Bongo. Le texte qui prévoyait une aide de 10 milliards de dollars par an, devant ultimement se monter à 100 milliards de dollars en 2020, n’a pas été suivi d’effet. Alors, ces mêmes chefs d’État ont demandé de l’aide. La Commission européenne, la présidence française et le gouvernement ont réclamé un instrument spécifique dédié à toute l’Afrique.
FF. – Pourquoi l’électricité et non l’eau, les routes ou l’éducation ?
JLB. – Ces sujets sont importants, mais le dénominateur commun, préalable à l’accès à l’eau, à la santé ou à l’éducation, à une agriculture moderne, à une industrie agro-alimentaire, à une activité de services, à la sécurité du territoire et à la qualité de l’urbanisation, c’est l’énergie.
FF. – Quel type de financement nécessite le plan d’électrification de l’Afrique ?
JLB. – La difficulté tient au fait que le pouvoir d’achat local ne permet pas, sauf dans certains endroits, de rendre soutenables les investissements. Il faut donc une part de subventions. Exactement comme il y a soixante-dix ans en France lorsqu’on a voulu électrifier la Corrèze. Là, le principe est identique. Il est nécessaire de débloquer 3 à 4 milliards d’euros de subventions par an pendant dix ans et de disposer d’un instrument transparent.
FF. – Comment les dirigeants africains réagissent-ils à ce projet ?
JLB. – Quand on est à la tête d’un pays africain, il est difficile de plaider sa cause auprès du Congrès américain, du Parlement européen, des ministres européens. Nous l’avons fait pour eux. Aujourd’hui, l’agence est africaine et installée en Afrique. Il s’agit bel et bien d’une initiative africaine, présidée par l’Afrique, qui se doit d’être transparente à l’égard des donateurs. Le président Alpha Condé la préside et deux Européens font partie du bureau, ce qui est normal. La majorité, sept membres, reste désignée par les chefs d’État africains. L’outil est lancé même si persistent des difficultés de mise en place à l’échelle du continent.
FF. – Quels sont les principaux freins ?
JLB. – Le principal frein serait de retomber dans les anciens travers, notamment celui d’utiliser les fonds dédiés au projet à d’autres buts. Il faut aussi se concentrer sur l’essentiel et affronter les principaux ennemis qui sont les « à quoi bon ? On ne va pas y arriver », les malentendus et le sentiment d’insurmontable. Il existera forcément des difficultés, car des gens vivent aussi de la pauvreté. Des gens qui vendent des conseils, des expertises. Oui, beaucoup en vivent, y compris de grandes institutions qui ne voient pas d’un très bon œil une petite agence de 50 personnes qui apporte une part de subventions marginale, celle qui permet aux dossiers de passer.
FF. – La politique africaine de la France est-elle à la hauteur de ses enjeux en Afrique ?
JLB. – Ce n’est pas la politique africaine de la France, c’est la France tout court. L’affection est totale, l’estime est réelle, comme dans toutes les familles. Globalement, on a une communauté de destins, une communauté géographique, linguistique, historique, philosophique, musicale. Mais de fait, nous sommes entrés dans une indifférence réciproque ; nous n’avons pas été très présents et les Africains se sont tournés vers la Chine et les États-Unis. Les jeunes étudiants d’Afrique francophone ont étudié en anglais. Bientôt, l’essentiel de l’Afrique sera anglophone parce que c’est la langue du business. Quelques groupes bancaires français sont toujours implantés en Afrique, mais beaucoup sont partis à la conquête de l’Europe de l’Est et de la Chine en oubliant les échanges Nord-Sud. La politique étant le reflet de la société, elle ne déroge pas à cela.
Et pourtant, les Africains le savent, ce sont nos soldats qui risquent leur vie en Afrique, comme eux l’ont risquée pour la nôtre. Notre relation est donc doucement en train de se rétablir. Le président Emmanuel Macron a fait de sa visite au Mali, les 4 et 5 juillet, un de ses premiers voyages.
Le plus important pour l’avenir de la France, c’est sa relation avec l’Afrique. Aujourd’hui, cette dernière compte 1,2 milliard d’habitants. Dans trente ans, ce sera 2,5 milliards de personnes, un quart de l’humanité, 40 % des moins de 20 ans. La croissance européenne dépendra donc en partie de la croissance africaine. Mais il n’y aura pas de croissance africaine réelle sans énergie. Et s’il n’y a pas d’énergie, il y aura une déstabilisation du continent africain. Dans un monde connecté – l’Afrique, c’est 850 millions de téléphones portables en moins de sept ans, 25 % du territoire couvert par Internet et 50 % dans trois ans –, il est inimaginable que la jeunesse accepte de vivre sans énergie.
Le continent va connaître de grandes migrations infra-africaines vers les grandes villes et vers les ports, une réorganisation de l’implantation humaine. Le monde est stabilisé partout démographiquement et politiquement. Le seul endroit où il va se passer des bouillonnements extraordinaires, c’est en Afrique. Il y aura un sommet Afrique-Europe à Abidjan en novembre 2017. Ce doit être le moment du grand rendez- vous : remettre à plat l’aide au développement qui a entre quinze et quarante-cinq ans de conception et ne correspond plus aux réalités du moment, la concentrer sur trois ou quatre sujets très spécialisés, créer un Erasmus de la formation Europe-Afrique, intégrer l’eau, l’énergie, le logement. Enfin, faire que tout cela se fasse en partenariat, que la question migratoire aussi soit mise en commun. Il y a un grand traité de paix à préparer.
FF. – Le schéma de développement sera-t-il le même pour toute l’Afrique ?
JLB. – Bien sûr que non. Chaque partie de l’Afrique a l’énergie renouvelable la moins chère du monde, mais ce n’est jamais la même. Il y a une géothermie incroyable au Kenya, du solaire dans la partie sahélienne, de la biomasse ailleurs ainsi que le plus grand potentiel hydro-électrique du monde. Malgré la démographie actuelle, le continent reste quatre fois moins dense que l’Europe. Le développement sera donc décentralisé. L’Afrique, c’est le plus grand programme d’énergies renouvelables du monde.