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« Le Musée des civilisations noires, langage de son temps »

parAbdou Latif COULIBALY, ministre de la Culture du Sénégal, Sylvère-Henry CISSE, journaliste, président de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

Le Musée des civilisations noires ouvrira ses portes à Dakar en décembre 2018.

France Forum. – L’édifice imaginé par Léopold Sedar Senghor et construit sous la présidence de Macky Sall a l’ambition de devenir une référence incontournable. Quel est le projet muséal et son inscription dans l’histoire des idées ?

Abou Latif Coulibaly. – Le rôle des musées a évolué de manière significative dans le monde entier et tous, y compris les plus prestigieux, s’orientent vers la modernité à une vitesse qui laisse peu de place aux musées classiques adossés à des expositions permanentes rapidement obsolètes. Dans cette perspective et conformément aux orientations de la conférence internationale de préfiguration tenue en juillet 2016, le Musée des civilisations noires (MCN) sera une institution multidimensionnelle, ayant l’ambition de représenter toutes les sensibilités culturelles du monde noir. il sera aussi un lieu d’étude, de prospection et de production de savoirs sur le monde noir dans une contemporanéité globale. Cela signifie qu’il sera résolument postethnographique et ne fossilisera pas les civilisations dans un moule désuet. Pour cette raison, il sera le reflet de cultures vivantes qui assument à la fois leurs trajectoires historiques et leur projection dans la modernité.

Le musée traitera de toutes les thématiques, de l’Afrique berceau de l’humanité aux productions contemporaines. Dans cette perspective, le MCN parlera le langage de son temps : celui du multimédia. Il s’agit, sur ce point, de promouvoir l’interactivité entre les objets et ceux qui viennent à leur découverte par le biais de l’interface multimédia. L’intelligence artificielle remplacera, en de nombreux points, le guide traditionnel ; les visiteurs pourront, à partir de leurs terminaux, accéder aux contenus des différentes activités du musée.

FF. – Pourquoi est-ce le moment opportun pour un tel musée ?

ALC. – La création du MCN introduit un changement radical de paradigme vers une nouvelle ère dans la vision muséale. Il ne s’agit plus de se satisfaire d’institutions héritées de la colonisation, mais de donner corps à un rêve, vieux de plus de cinquante ans : créer un ancrage puissant, un référent de dimension mondiale pour toutes les civilisations noires. Un espace à elles, où elles viendront s’exprimer dans leurs diversités et leurs rapports multiformes au monde global. Ce musée vient en son temps pour porter la voix de l’Afrique et celle de ses diasporas, pour reconstruire les continuités rompues et défragmenter l’espace culturel du monde noir. il doit ouvrir, surtout aux plus jeunes, les perspectives offertes par l’une des données incontournables de notre contemporanéité, à savoir le temps de l’Afrique. L’exposition « Maintenant l’Afrique » sera consacrée à cette thématique.

FF. – Quelles seront la force et la singularité du musée ?

ALC. – La singularité du MCN repose sur une série de ruptures qui en font un équipement culturel très spécifique. En décidant de traiter des civilisations noires dans le temps du monde, il s’inscrit résolument dans une perspective longue et s’offre la possibilité de traiter de toutes les questions, sans exclusive.
En ce sens, c’est un musée évolutif.

L’autre spécificité du musée, c’est l’absence d’exposition permanente. Ce choix s’explique par l’impossibilité de pouvoir documenter toutes les séquences de notre humanité en une seule exposition sans tomber dans la réduction. Le musée trouvera sa force dans le renouvellement constant de ses expositions à travers des partenariats ciblés. Plus fondamentalement, il ne sera ni ethnographique, ni anthropologique, ni subalterne, encore moins chromatique. 

FF. – Comment écarter le risque d’être renfermé sur une « identité noire » ?

ALC. – Cette question a été traitée par la conférence internationale de préfiguration. Le MCN ne sera pas le musée du noir. Le noir n’est pas essentialisé dans notre approche. il est historicisé et non chromatique. Autrement dit, nous voulons parler du noir dans l’histoire à partir des références qui nous sont propres, en respectant les identités plurielles et en ne nous soumettant à aucun moule. Plus prosaïquement, nous inviterons toutes les identités. C’est pourquoi un parcours dénommé « Dialogue des masques » va être construit pour faire dialoguer des masques de toutes les origines.

FF. – Le musée a été construit en coopération avec la Chine. Est-ce pour l’inscrire dans les mutations du monde actuel ?

ALC. – Il sera très important d’être attentif aux mutations de notre temps pour ne pas tomber dans la nostalgie. Les mutations intellectuelles, économiques et technologiques seront au cœur de nos préoccupations. L’intelligence artificielle sera régulièrement convoquée pour donner sens et vie aux expositions. La coopération avec la Chine est exemplaire en ce sens que cette dernière ne s’est jamais immiscée dans l’élaboration des contenus.

FF. – Quelle place sera donnée à la création contemporaine ?

ALC. – Elle sera présente à tous les niveaux car nous sommes dans une reformulation de l’approche muséologique. Les artistes contemporains travaillent sur toutes les questions, y compris historiques, sans compter les nouveaux courants. Le MCN s’intéresse à tout cela à la fois.

Beaucoup d’efforts seront faits pour encourager les jeunes talents à travers des ateliers, des saisons, des festivals. Il s’agit de promouvoir la production culturelle en Afrique et dans la diaspora dans une perspective de célébration de la diversité des expressions culturelles.

FF. – 2020 sera l’année de l’Afrique en France. Pensez-vous que le MCN ait un rôle à jouer?

ALC. – L’année de l’Afrique est un événement. Le MCN a vocation à être une institution héritière d’une histoire intellectuelle dont l’affirmation est la principale préoccupation. Il n’inscrira donc pas son action dans cette année. Cependant, si on nous y invitait, nous y participerions certainement.
 

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