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Le problème du contrôle des naissances

parJeanne JOLIVET

Articles de la revue France Forum

On estime que chaque Française qui se serait mariée entre 15 et 25 ans devrait avoir, dans de bonnes conditions sanitaires et économiques, de 10 à 12 enfants. Or, 15 % seulement des couples ont 5 enfants vivants. Cela signifie, que compte tenu de l’âge tardif de certains mariages, du célibat et de la séparation, presque tous les couples pratiquent une certaine restriction des naissances. […]

Dans la mesure où tous les couples d’une nation sont concernés plus ou moins par la régulation de leur fécondité, des options sont nécessaires au plan national en vue d’une information de ces couples et d’une réelle éducation sexuelle des jeunes. Il ne serait pas si utopique de souhaiter pour les prochaines générations une accession par étapes à la liberté de la conception. À une condition cependant : celle de ne pas faire dépendre exclusivement celleci de l’emploi de seules techniques. Cependant, actuellement, rien n’existe sur le plan collectif concernant l’éducation sexuelle. Est-elle seulement assumée par la famille ? Cela semble assez peu probable. « On ne voit guère comment les parents contraints depuis toujours de “se débrouiller” et “informés” de façon si limitée, si empirique et incomplète, pourraient remplir leur rôle », écrivent Jacques Derogy et Paul Lescaut dans un récent ouvrage : Population sur mesure.

L’enquête du Dr Solange Siebert démontre que 79 % des femmes interrogées ont répondu « Personne » à la question : « Qui s’est chargé de votre éducation sexuelle ? » Les moralistes de toute sorte redoutent, d’une large diffusion des moyens contraceptifs, un relâchement des moeurs et l’avènement d’une ère de débauche. Pourtant, une éducation sexuelle véritable et bien menée devrait avoir des effets contraires. Ces moralistes ont d’apparents alliés dans le camp des natalistes que ne cesse d’effrayer le spectre de Malthus et qui ne sont pas sans voir le creux démographique dû aux avortements. D’autres groupes, il est vrai, se sont élevés contre la répression de la propagande anticonceptionnelle, et parmi eux la Ligue des Droits de l’homme, la Ligue de l’enseignement, la Mutuelle nationale des étudiants de France.

Le parti communiste a eu une attitude particulièrement ambiguë. Dans un projet de loi de 1956, il prévoyait « la possibilité de l’avortement pour raisons thérapeutiques et sociales aux frais des assurances sociales ».

Mais il en était autrement en ce qui concernait la contraception. Dans une conférence faite en 1956 devant le groupe parlementaire communiste de l’Assemblée nationale, Mme Jeannette Vermeersch déclarait : « Le birth control, la maternité volontaire est un leurre pour les masses populaires, mais c’est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales. » Il faut dire qu’au début de cette même année 1956 était sorti le livre de Jacques Derogy Des enfants malgré tout, écrit à la suite d’un procès d’avortement auquel avait assisté son auteur, à la 16e chambre correctionnelle. Le livre posait le problème du contrôle des naissances. Le 1er mai, Jacques Derogy recevait une lettre de Maurice Thorez (reproduite dans L’Humanité et dont on peut extraire quelques passages significatifs) : « Notre parti dénonce dans le régime capitaliste le grand coupable des souffrances du peuple, le facteur de sa paupérisation et de sa misère, le responsable de cette statistique sur laquelle vous vous appuyez pour en tirer des conclusions qui ne peuvent être celles des communistes. Vous en déduisez le droit au refus de la maternité. Nous au contraire proclamons le droit à la maternité. » Et plus loin : « Il ne nous semble pas superflu de rappeler que le chemin de la libération de la femme passe par les réformes sociales, par la révolution sociale, et non par les cliniques d’avortements. »

Cependant, les déclarations parues dans l’Humanité au lendemain de la journée consacrée à la Femme et à l’Enfant dans le cadre de la récente semaine de la pensée marxiste traduisent une sensible évolution. « Les avis sont presque unanimes, y compris ceux des partisans du Planning familial, pour considérer que la crainte de la maternité est due pour l’essentiel aux difficultés économiques et sociales. Puisque les idées se sont rapprochées quant aux causes des craintes de la maternité, luttons ensemble pour le droit à la libre maternité », écrit Jeannette Thorez-Vermeersch.

Il semble donc que, d’une manière générale, on se soit éloigné des condamnations sans appel portées jadis contre la contraception. D’autre part, l’opinion a été pour une grande part sensibilisée par les nombreux articles consacrés à la régulation des naissances et au Planning familial par différents journaux. une déclaration a joué un rôle important, celle publiée le 6 décembre 1964 par le Conseil national de l’Église réformée de France en faveur du Planning familial, elle met en avant le combat contre l’avortement au moyen des méthodes contraceptives et elle insiste sur le fait que la venue des enfants doit être décidée en toute conscience par les parents en fonction des conditions dans lesquelles ils devront vivre : « Dans la mesure où le couple prend conscience de telles responsabilités, le Conseil national admet la légitimité de méthodes contraceptives, étant entendu que l’avortement ne peut entrer dans cette catégorie. »

La position protestante est très bien explicitée dans le livre consacré au contrôle des naissances par le pasteur A. Dumas. soutenue par une argumentation théologique, la distinction établie entre sexualité et procréation provoque une double question : « Persévérer dans la “morale de la procréation” comme norme essentielle de la sexualité, n’est-ce pas établir la valeur de la vie sexuelle dans ses conséquences et non dans sa source ? N’est-ce pas fonder le mariage sur la présence de l’enfant, quand l’enfant devrait être le fruit de la présence de l’amour dans le mariage ? »

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