Pendant que celui qui allait devenir l’empereur Napoléon III écrivait un livre sur l’« extinction du paupérisme », le philosophe rhénan ne cessait de creuser le tombeau du capitalisme. Parce que celui-ci engendrait, d’après lui, la paupérisation croissante et absolue du prolétariat. Cette thèse, soutenue mordicus par les partis communistes jusqu’à la fin du XX^e siècle figure bien dans le catalogue des réflexions de Marx. Mais à quel moment ? Dans la production de ce dernier, Francis Kaplan distingue trois faces du communisme tel que Marx le ressent : celle tendant à réaliser la vraie nature humaine, celle répondant à une exigence éthique, celle apparaissant comme la nécessité historique.

C’est bien le second aspect qui sous-tend l’action de Marx, toute sa vie, qui explique son engagement définitif et absolu. De ce point de vue, il partage les mêmes motivations que les penseurs potentiellement démocrates- chrétiens de son époque. Sur la pauvreté atroce qui accompagne le développement du capitalisme en son temps, Marx ne cesse d’employer les termes les plus violents. Il parle de « cruauté », de « saloperie », de « tortures », de « mutilations », de « résultats moraux désastreux », de « situation révoltante », de « martyrologue des travailleurs ». Kaplan, lui-même philosophe, comprend l’inspiration plus sentimentale que rationnelle du philosophe hégélien, mais il le met en face de ses propres contradictions.

Car « la grande industrie, dit Marx, […] crée la nouvelle base sur laquelle s’élèvera une forme supérieure de la famille »… et d’une nouvelle société ! Allez décrire cette perspective aux travailleurs du Bangladesh ! La pauvreté doit être dépassée… comment ? Par la révolution ou/et par le progrès du mondialisme, c’est-à-dire de la généralisation du capitalisme ? L’étude de Francis Kaplan, remarquablement lucide et documentée, démontre à la fois la complexité de la réflexion de Marx et son actualité. 

Les Éditions du Félin, « Les marches du temps », 2014 – 29 €