Musique : un festival de clôtures
Articles de la revue France Forum
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Loin des atermoiements très parisiens autour de la très parisienne Philharmonie, un séisme silencieux saisit actuellement la vie musicale française. une carte permet de mesurer l’ampleur de ce qui se produit, avec un bel ensemble, depuis les dernières élections municipales : à l’heure où j’écris, deux cent quinze structures culturelles ou organisations de festival sont définitivement ou temporairement supprimées depuis mars 2014, par le fait du dernier changement de majorité dans les municipalités, quel que soit le sens de ce changement politique. une actrice culturelle de la banlieue de Valenciennes, Émeline Jersol, dresse et documente actuellement sur Internet cette carte1 des structures fermées ou en cours de fermeture. La musique, symbolisée par de petits fanions verts, y est copieusement représentée, surtout pour les festivals.
Sans analyser en détail les causes politiques, idéologiques ou financières de la disparition massive des festivals musicaux en France, on constate que la dépendance des artistes aux finances institutionnelles en est une cause logique. seuls survivent les festivals dotés de ressources autonomes, de publics et de jauges suffisantes pour rentabiliser les spectacles.
« Le prix de l’autonomie est bien celui de l’originalité », écrit le musicologue Célestin Deliège. Difficile d’assurer l’affluence et les ressources qui vont avec tout en proposant au spectateur des numéros sortant de l’ordinaire. Un festival reste un lieu prévisible par nature : le public, en échange de sa présence nombreuse, attend des têtes d’affiche, des vedettes locales et une programmation sans surprise, à la fois thématique et équilibrée. Aucune innovation, aucun bouleversement musical, aucun manifeste n’est à espérer. s’il est bien organisé et rencontre le succès escompté, un festival rassemble des publics vastes autour d’événements fédérateurs centrés sur des prestations dont les spectateurs savent à l’avance ce qu’elles contiennent.
Mais un festival, c’est aussi un tremplin formidable pour de jeunes artistes dispensés de passer des heures sur Facebook ou d’envoyer des milliers de courriels pour mobiliser leur public à l’occasion d’une maigre date négociée chichement avec le tenancier, dans une salle en sous-sol, un restaurant, une lointaine salle des fêtes. sans effort, le public est là, souvent nombreux et de bonne composition, prêt à tout pourvu que la prestation scénique soit au niveau et cadre avec le programme. C’est même l’occasion de prendre quelques risques...
Pendant que l’invasion anglo-saxonne se poursuit, que la déculturation du pays est devenue une réalité, nos édiles suppriment les festivals pour rééquilibrer leurs comptes, convaincus d’y avoir laissé leur chemise. Ils ôtent à leurs villes une partie de ce qui en fait l’attrait et la qualité de vie, que le festival soit estival ou non. Mais surtout, ce mouvement de retrait massif est un coup porté à une génération d’artistes en quête d’expériences professionnelles et il n’est pas sûr que le bilan de cette opération comptable soit positif sur le long terme.
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1. Https://umap.openstreetmap.fr.fr:map/caryocrise-culture-francaise-tu-te-meurs_247