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Nouvelle donne géopolitique ou statu quo ?

parAlexandre NEGRUS, président  de l'Institut d'études de géopolitique appliquée

Articles de la revue France Forum

Avant comme après, il n’y aura toujours qu’un seul monde.

La crise liée à la Covid-19 est la deuxième secousse au sein de la gouvernance mondiale, après celle de 2008 et la faillite de Lehman Brothers. À plus d’un titre, elle est riche d’enseignements en matière de relations internationales. Si certains changements majeurs sont à prévoir, de nombreux enjeux géopolitiques du « monde d’avant » demeureront dans le « monde d’après ». Cette dichotomie bien maladroite, que d’aucuns mettent en avant avec certitude, laisse perplexe. S’il y aura bien un avant et un après Covid-19, comme après chaque crise majeure, il restera toujours un seul « monde », celui de l’interdépendance, de la mondialisation et, ne l’oublions pas, de la crise du multilatéralisme.


UN MANQUE FLAGRANT DE PRÉPARATION DES ÉTATS. En outre, la Covid-19 a mis en exergue un manque flagrant de préparation des Etats pour faire face à pareille crise, malgré les nombreuses alertes d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux depuis plusieurs décennies. A fortiori, certaines alertes ont mis en avant un schéma de pandémie à l’échelle mondiale telle que nous l’avons connue, à savoir une crise en 2020 dont le premier foyer infectieux serait identifié en Chine sur un marché où l’on trouve des animaux sauvages. Au demeurant, la question consiste à savoir pourquoi existe un si grand fossé entre l’information transmise et la prise de décision politique. Dès lors, lorsque le temps de prendre du recul sera venu, il est à prévoir que le politique ait à rendre des comptes.

En vertu de tout ce qui précède, l’on peut se demander si cette crise donnera lieu à une nouvelle donne géopolitique. Il est certain que, pour l’heure, si interdépendance entre les Etats il y avait, interdépendance il y aura. C’est aussi une interdépendance en matière de relance économique qui est à prévoir. Qu’ils soient développés ou en voie de développement, tous les acteurs sont concernés.

S’il est évident que les grandes puissances mondiales ont une conception du monde bien différente, ce sera toujours le cas après cette crise. Croire que celle-ci va permettre une prise de conscience générale et instiguer des changements majeurs pour une société meilleure est une incantation chimérique. Les enjeux en matière de gouvernance et de changement climatique, la compétition militaire, le défi d’une Union européenne forte, la guerre commerciale, les crises migratoires et identitaires, la fragmentation des sociétés et la résurgence du fait religieux : voilà une liste non exhaustive de ce qui perdurera. ne nous trompons pas : si la Covid-19 laisse présager un certain nombre de changements aux échelles régionale et internationale, beaucoup de bouleversements ont été amorcés bien avant la crise. L’activité économique a été en très grande partie transformée par la prépondérance du numérique. L’après Covid-19 confirmera la dynamique de la numérisation de l’économie. Les géants du numérique tireront profit de cet épisode. Afin de concurrencer la puissance incontrôlée des plates-formes du numérique, allant parfois jusqu’à remettre en question la souveraineté des Etats, ces derniers devront livrer une bataille géoéconomique. Cela fera naître de nouveaux rapports de force entre les grandes puissances mondiales, mais aussi entre celles-ci et des acteurs privés de plus en plus nombreux.

Trop nombreux sont ceux qui, pendant cette crise, ont accusé la mondialisation d’être responsable de tous les maux. Rappelons qu’un certain nombre d’Etats, pleinement intégrés dans le processus de mondialisation, ont certes été touchés par la crise, mais dans une moindre mesure. Il est, en revanche, plus évident que la non-maîtrise du processus de mondialisation et les interdépendances dangereuses qu’il a créées sont des explications plausibles.


UN MANQUE DE COOPÉRATION. Pour la relance économique mondiale, là encore, les Etats demeureront interdépendants. Le cas de l’Union européenne ne peut qu’appuyer ce propos tant il est révélateur de ce besoin de coopération. Au début de la crise, un faux procès a été fait, à plusieurs reprises, à l’Union, accusée d’un manque criant de solidarité. Cependant, manque de solidarité et manque de coordination ne doivent pas être confondus. C’est bien le manque de coordination qui a failli coûter cher à l’Union européenne. Au sortir d’intenses négociations de l’Eurogroupe, le 7 avril 2020, dont l’objet était de trouver un compromis pour une sortie de crise coordonnée, l’Union était plus que jamais en danger. Finalement, malgré la réticence des Etats dits frugaux, un plan de relance actant un endettement commun de 750 milliards d’euros a été adopté le 21 juillet 2020, faisant fi du budget consacré à la défense européenne.

Par ailleurs, l’un des changements majeurs à prévoir post-Covid-19 est la redéfinition de la relation transatlantique. Si cette crise a davantage illustré le duel entre les Etats-Unis et la Chine, la relance économique, en particulier en Occident, sera largement tributaire d’une nouvelle relation dont l’Union européenne doit être à l’initiative. L’élection présidentielle américaine à la fin de l’année 2020 est une incertitude supplémentaire quant aux conséquences mondiales de la pandémie.

L’appel au multilatéralisme ne doit pas être une fin en soi car il n’est pas gage de stabilité. Aujourd’hui, le protectionnisme entrave fortement les projets d’ouverture défendus par des Etats tels que la France. À cette crise du multilatéralisme, largement alimentée par les comportements de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis, s’ajoute une crise de la gouvernance. Cela est d’autant plus problématique que, pour apporter des réponses concrètes aux grands défis contemporains, il convient d’éviter le repli sur soi. La coopération est plus que jamais nécessaire dans ce qui est une période charnière de l’histoire des relations internationales.

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