Un danger mortel
Articles de la revue France Forum
Mars 2020. Il ne s’agit pas d’un nouveau film de science-fiction ou la énième version d’une douceur chocolatée en vente dans les supermarchés.
Mars 2020 sera le mois révélateur de l’extrême faiblesse de la planète. Le moment où une nouvelle forme de vie, dont l’apparition demeure encore imprécise, se joue d’une partie de l’humanité et se développe à grande vitesse à ses dépends. L’instant grave où les sociétés modernes basculent dans une sorte d’inconnu alors qu’elles avaient atteint un niveau de sophistication et de développement économiques qui donnait à penser qu’elles maîtrisaient toujours plus leur environnement, toujours mieux les techniques créées. Même la réduction des inégalités, le combat contre les injustices et le contrôle des violences, sous quelque forme que ce soit, n’avaient jamais été aussi aboutis bien que perfectibles. Les gouvernements démocratiquement élus vivaient parfois des heures tumultueuses et les régimes des hommes forts semblaient une tentation grandissante, mais l’évolution du monde de ce début d’année 2020 filait en toute logique. L’Union européenne ne dépareillait pas, se retrouvant, au mois de février, en Conseil européen extraordinaire pour discuter du prochain cadre pluriannuel financier (2021-2027) sans qu’un accord puisse être trouvé. Business as usual.
Mars 2020 bouleverse cette vision. Un abîme se creuse. Lentement, mais inexorablement. La prise de conscienceque l’invisible, que le microscopique, que l’inattendu est sur le point de transformer la vie quotidienne. Les historiens diront que ce n’est pas la première fois et expliqueront doctement que, depuis la création de la vie elle-même, des ruptures se produisent, sans qu’il soit possible de les anticiper ou de s’y préparer. Pourquoi 2020 aurait-elle été épargnée ? La présomption de puissance alimentée par la mondialisation et la libre circulation acquises ces trente dernières années se trouve ainsi réduite à un état de grande fragilité. Bien des aspects de cette transformation à l’oeuvre sont encore loin d’être compris et les modes de production seront également affectés durablement.
L’Union européenne n’échappera pas à cette brutale remise en cause. Cette chronique a bien souvent relevé les insuffisances de l’Union, les mesquineries nationales, l’absence d’ambition des uns et des autres et, plus systématiquement, une forme de myopie politique face à l’avenir commun et à la meilleure manière d’en relever les défis. C’est bien cela qu’il s’agira de dépasser : une construction européenne bancale, combinant quelques éléments de fédéralisme avec la méthode communautaire comme matrice et, le plus souvent, de la bonne coopération entre États, laissée au bon vouloir de ses membres et basée sur l’unanimité pour la prise de décision. Au cours des dernières années, le Conseil européen a, certes, colmaté pour éviter la sortie de la Grèce de l’euro, renforcé la lutte contre le terrorisme, paré au plus urgent avec la crise des migrants en déléguant la gestion à la Turquie non désirée comme futur membre. il a vu, enfin, le départ laborieux d’un de ses membres qui s’y est toujours senti étranger.
Ainsi, les premières réactions des États membres face à cette pandémie Covid-19 confirment combien l’organisation sui generis est faible. D’abord, parce que le réflexe pavlovien des gouvernements respectifs est de penser et d’agir nationalement, en instantané, avant toute autre considération plus continentale. Ensuite, parce que guidant l’actuel moteur européen, la Commission, Ursula Von der Leyen ne semble pas avoir pris la mesure de son rôle ou peut-être de la catastrophe à l’oeuvre. Jacques Delors a encore une fois raison de s’alarmer du manque de solidarité qui fait « courir un danger mortel à l’Union européenne ». Il n’est pas trop tard pour s’inspirer de son oeuvre et réfléchir sérieusement à refonder l’Union européenne.