©Henry Cowll jhugues

Cluster

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

La notion de cluster apparaît en musique au début du XXe siècle.

La notion de cluster apparaît en musique au début du XXe siècle. Le vocable anglais ne se justifie pas par le seul primesaut anglophile de nos élites, mais parce qu’il apparaît pour la première fois à new York sous les doigts du pianiste ukrainien Lev (Leo) Ornstein (1895-2002). D’origine juive, ce virtuose surdoué avait émigré des rives généreuses du Dniepr vers Ellis Island, en 1906.

Déjà repéré en Europe comme un enfant prodige, Leo intègre sans difficulté à son arrivée ce qui deviendra la Juillard School of Music et devient, dès son premier concert en 1911, un interprète reconnu de Bach, Beethoven, Chopin. Assez vite, il se met à intégrer à ses concerts des pièces de Schoenberg et ses propres compositions, ce qui ne manque pas de mettre le public en émoi et de susciter des avis très divergents. Certains le voient comme un apôtre de la laideur, d’autres comme un génie. Il se spécialise progressivement dans l’interprétation d’œuvres modernes et de compositeurs comme Bartók, Prokofiev, Debussy, Schoenberg, Scriabine et de ses propres œuvres.

Les clusters, ou plutôt tone-clusters, c’est-à-dire « grappes de notes » très rapprochées, y occupent une certaine place, mais il serait injuste de limiter l’importance de ornstein à cet apport technique. La 4e sonate, composée en 1918 et d’une grande difficulté technique, présente des propositions expressives très nouvelles, inspirées de Debussy, de Stravinsky ou de la musique traditionnelle juive, fort éloignées des accents barbares et des clusters de la Wild Men’s Dance de 1913, pièce qui mettait en fureur les détracteurs du jeune compositeur. C’est précisément cette pièce de caractère qui permet d’attester que Ornstein est l’inventeur du cluster et non Henry Cowell (1897-1965). Ce débat a longtemps partagé les connaisseurs du modernisme musical américain. Même s’il n’est pas le premier à l’utiliser, Henry Cowell a théorisé et développé un large répertoire de piano et d’orchestre où prolifèrent les tone-clusters, comme l’atteste, entre mille autres œuvres, son superbe Piano Concerto créé à La Havane et édité à paris en 1928. Il invente même une notation, désormais usuelle, en 1917, dans Tides of Manaunaun.

Pour réaliser un cluster, rien de plus simple en apparence : il suffit de jouer au piano des « grappes » de notes voisines, avec le plat de la main, le poing ou même l’avant-bras si nécessaire. Le compositeur peut inviter l’interprète à n’actionner que les touches blanches, que les touches noires ou toutes les touches. L’ampleur du cluster, son ambitus, doit être soigneusement contrôlée. Cowell intègre ainsi dans ses œuvres des mélodies de clusters d’un puissant effet expressif. Charles Ives l’utilise aussi, au piano, à l’orgue ou dans des pièces orchestrales. Le procédé, utilisé de façon anecdotique avant Ornstein comme dans le General Lavine-Eccentric de Claude Debussy (1913), contaminera assez largement la musique contemporaine. John Cage, Maurizio Kagel, György Ligeti et d’autres compositeurs l’utiliseront aussi bien au piano qu’à l’orchestre et il est, aujourd’hui, d’usage courant. Fort heureusement, il n’existe pas de vaccin.

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