Le mouvement nationaliste en Pays basque espagnol
Articles de la revue France Forum
Extrait du n° 108-109, avril-mai 1971
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Bien avant que naisse le mouvement nationaliste, le particularisme était déjà fortement ancré dans le pays basque espagnol, le seul dont nous parlerons ici, car le problème en France est tout à fait différent. […] La féodalité ne marqua presque pas le pays basque où une démocratie rurale fait de liberté et d’égalitarisme, basée sur la coutume contenue dans les « fueros », s’ancra très fortement. La langue, une littérature, des chansons, des danses, une architecture particulière distinguaient les Basques des autres peuples de la péninsule. Le christianisme marqua l’âme basque tout en conservant un aspect bien spécial : peu de mystiques mais une foi forte, enracinée dans le peuple. […]
En 1833, à la mort du roi Ferdinand VII, la guerre civile éclata en Espagne. Marie Christine, sa femme, devint régente, mais le frère de Ferdinand, Don Carlos, réclama la succession du trône. Les libéraux appuyèrent Marie Christine, les Basques et les Catalans s’enrôlèrent avec Don Carlos qui promit de sauvegarder leurs libertés traditionnelles. C’est ainsi que naquit le carlisme qui jusqu’à nos jours joua un si grand rôle. Il y eut deux guerres carlistes. L’une en 1833 à 1839, l’autre de 1872 à 1876.
Les Basques se battirent longuement et formèrent l’essentiel des troupes carlistes, car le mouvement n’eut de bases populaires que dans les régions où le particularisme était très fort. Les deux guerres se terminèrent par la défaite carliste. Défaite militaire, mais aussi défaite politique, car le pays basque perdit l’essentiel de son autonomie et s’intégra « à part entière » dans une Espagne centralisée. […]
Jusqu’aux années 1900, le carlisme fut la seule transposition politique du particularisme basque. Cependant, tous les partis politiques agissant en pays basque se voulaient fédéralistes, si grande était l’aspiration à l’autonomie. […] En 1895, un journaliste et publiciste de 30 ans, Salino Arona Goiri, fondait le parti nationaliste basque, Euzko Alderdi Deltzalea en basque ou PNV d’après ses initiales en espagnol. […] Le PNV était un parti démocratique organisé de façon moderne avec des juntes municipales à la base, puis quatre bureaux provinciaux (un par province basque) et enfin un bureau d’Evzhadi coiffant les juntes provinciales et extra-territoriales (Amérique, Madrid). Une série d’organisations parallèles entourait le pnV. Certaines dépendaient du parti, comme Euzko Gaztedi, ou EGI, qui groupait les jeunes, une fédération féminine, et même une section d’enfants.
La presse du PNV compta une demi-douzaine de quotidiens. L’un d’entre eux Euzkadi, édité à Bilbao, circulait dans les quatre provinces. Il était l’organe officiel du parti. Il s’agissait d’un excellent journal d’un niveau intellectuel remarquable. Dans le domaine culturel, le parti fit une œuvre notoire. Il chercha par tous les moyens à enrayer le déclin de la langue. L’on multiplia les groupes de danseurs, les chorales, les manifestations littéraires.
Très vite, le PNV connut ses premiers succès électoraux. En 1898, Sabino Arana Goiri fut élu député provincial de Bilbao. En 1917, la Biscaye se donna une majorité nationaliste à l’assemblée provinciale.
Cependant, il nous faut insister sur un fait capital. Jamais le PNV ne fut majoritaire en pays basque. Il fut la première force politique, mais n’obtint à aucun scrutin la majorité absolue des suffrages. À la veille de la guerre civile, il représentait environ 35 à 40 % des électeurs. Le reste se répartissait en parts égales entre carlistes et partis de gauche, socialistes en tête, puis républicains. Très peu de communistes. Les anarchistes ont toujours été très faibles en pays basque.
Le parti socialiste ou PSOE s’était bien implanté dès les années 1890 dans les zones industrielles. […] Enfin, les républicains obtenaient les suffrages des classes moyennes et des paysans anticléricaux. Dès la guerre carliste, les villes libérales s’opposaient aux campagnes carlistes.
Grâce au PNV, les autres partis basques renforcèrent leur régionalisme pour ne pas se laisser distancer. Le PNV, lui, mit très tôt en veilleuse son indépendance et formula des revendications qui étaient susceptibles de faire évoluer la situation laissée par les défaites carlistes. […]
L’avènement de la république en 1931 sembla permettre de satisfaire les Basques. Bien que les républicains craignaient la constitution d’une « Gibraltar vaticaniste », ils furent plus favorables à l’autonomie que la droite traditionnelle.
Un projet d’autonomie fut préparé par la « Société des études basques », organisme culturel groupant des personnalités de toutes tendances. Il fut approuvé en 1932 par les maires des 549 communes basques, à l’exception des maires navarrois qui le repoussèrent par 123 voix contre 109. De nouveau, la Navarre se distinguait des autres provinces. Les carlistes mal à l’aise dans la république trouvaient le statut « laïc et séparatiste ».
Le projet fut soumis au référendum dans les trois autres provinces où il fut approuvé avec 84 % des suffrages des électeurs inscrits. C’était le 5 novembre 1933. Il ne manquait que l’approbation du parlement espagnol. Celle-ci traîna. La gauche craignait le cléricalisme, la droite le séparatisme.
Ce fut la guerre civile qui pressa les événements. Le 1er octobre 1936 la loi d’autonomie était votée par acclamation par les « Cortes » (parlement de Madrid).
À cause de la guerre, on laissait aux représentants des municipalités (traditionnellement très autonomes en pays basque) le soin d’élire le président. C’est ainsi que fut élu le premier président dissident ANV de Biscaye. Il prêta serment devant l’arbre de guernica. […]