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Osons la subsidiarité monétaire

parHélène TIMOSHKIN, consultante senior au sein du cabinet Orphoz

Articles de la revue France Forum

À l'heure où citoyens et élus expriment une demande croissante de décentralisation, la monnaie reste un angle mort des débats.

À l'heure où citoyens et élus expriment une demande croissante de décentralisation, la monnaie reste un angle mort des débats. Pourtant, si on admet que son contrôle établit l’autorité économique d’un pouvoir sur un territoire1, alors il existe une contradiction manifeste entre la décentralisation des responsabilités économiques et la centralisation du pouvoir monétaire. Plus personne n’ignore, en outre, que le système monétaire actuel génère des inégalités d’accès au financement (entre territoires, entreprises, projets et individus) que la boîte à outils classique peine à résorber.

Décentraliser la monnaie  ? C’est le pari des projets de monnaies «  citoyennes » qui essaiment en Europe et dans le monde à l’initiative d’acteurs associatifs. Il s’agit de réseaux locaux dont les membres, après avoir défini une unité de compte commune, échangent divers biens et services en dehors des circuits marchands traditionnels. On dénombre près de 1  000 réseaux actifs dans le monde2 (dont les plus connus se nomment l’Eusko, le Chiemgauer, le Bristol Pound ou encore le Sardex) et de nombreux autres sont en cours d’incubation. Ces monnaies locales prennent une grande variété de formes en fonction des besoins, mais toutes visent à renforcer le tissu économique du territoire où elles s’implantent. Concrètement, elles favorisent la production et le commerce locaux en encourageant la circulation des flux monétaires à l’intérieur du territoire et en créant du lien entre ses différents acteurs. Lorsqu’elles prennent la forme de systèmes de crédit mutuel, elles permettent aux entreprises participantes d’accéder à des sources de financement autre que le crédit bancaire. Ailleurs, elles peuvent améliorer l’accès aux services publics sans impact sur les budgets municipaux, lorsque les citoyens accumulent des crédits-temps en échange de services rendus à la collectivité.

En s’insérant dans les angles morts du système monétaire pour répondre à des besoins locaux, ces monnaies complètent celles officielles plus qu’elles ne les concurrencent. Pour schématiser, une monnaie locale alimente les échanges à l’intérieur d’un territoire tandis que la monnaie nationale nourrit le commerce interrégional et international. C’est la transcription effective, dans le domaine monétaire, du principe de subsidiarité, en vertu duquel une compétence est exercée à l’échelle la plus pertinente. En postulant une multiplicité existante des besoins, des objectifs et des usages de la monnaie, ces initiatives opposent aux monopoles monétaires actuels les notions de pluralité et de complémentarité des monnaies. Loin d’affaiblir la devise officielle, elles contribuent au contraire à la renforcer en rendant les territoires plus résilients face aux chocs extérieurs. En Suisse, le système Wir soutient ainsi l’économie depuis 1934, proposant l’une des plus anciennes monnaies parallèles en activité. Largement utilisé par les PME suisses, le Wir reste toutefois une exception. L’immense majorité des projets sont encore confidentiels et peinent à changer d’échelle. Premièrement, une monnaie locale ne peut fonctionner correctement que sur un territoire relativement intégré, où les entreprises peuvent s’approvisionner localement grâce à un circuit court. Or, l’éclatement actuel des chaînes de fournisseurs en limite l’intérêt. Deuxièmement, le cadre juridique est au mieux flou, au pire restrictif, comme lorsqu’il interdit à une municipalité de passer des marchés en monnaie locale. En résulte une faible circulation de ces monnaies, qui les confine au folklore et occulte leur potentiel transformatif.

Les pouvoirs publics nationaux et européens auraient beaucoup à gagner à favoriser l’essor de ces initiatives. Pensée comme un instrument nouveau au service des collectivités, la subsidiarité monétaire apparaît comme un vecteur de développement économique autant que démocratique. En encourageant la relocalisation des activités là où cela peut être fait, elle renforce les territoires. En réduisant les inégalités d’accès à la monnaie, elle atténue les déséquilibres entre les régions et, ce faisant, renforce le projet européen et la monnaie commune. Enfin, en permettant une gestion décentralisée de la monnaie, elle rappelle que celle-ci n’est pas neutre, mais porteuse de valeurs et d’objectifs qu’il appartient aux citoyens de déterminer. 

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1. Rappelons que nos monnaies nationales sont nées de la volonté de construire l’autorité et l’unité des États-nations modernes. 2. Community Exchange System

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