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Comme un cri de l'intérieur

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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Une biologiste allemande, Giulia Enders, nous révèle, dans un récent et inattendu best-seller1, que la vie de nos intestins ressemblerait étrangement à celle de notre cerveau. L’auditeur moyen peut effectivement s’en rendre compte chaque fois qu’au détour d’une radio ou d’un clic sur internet il est en contact avec une « chanson » de rap français.

Le terme « chanson », pourtant employé hardiment, semble bien hasardeux puisqu’il suppose que l’on y chante. La plupart du temps, il n’y a pas la moindre note chantée, ou alors à l’état de traces. Un refrain à la rigueur, quelques fragments de choeurs dans le fond, voire une psalmodie étriquée, le tout accompagné, dans le meilleur des cas, par un maigre anatole étouffé sous des avalanches de percussions bon marché, voilà tout au plus ce que l’on nomme désormais « chanson ».

Évidemment, les amateurs vous diront que tout l’intérêt du rap, c’est le texte. Hélas, de ce côté aussi, l’exigence, valeur cardinale pour un temps révolu, n’est plus ce pesant préalable à toute présentation publique d’une oeuvre d’art. L’impatience fait désormais frétiller le bout des doigts du public sur YouTube et le moindre raffinement peut susciter le zapping fatal. Comme le clame l’élégant Dadju du groupe Shin Sekaï :

« Le temps c’est devenu de l’argent
Mais y’a plus le temps de dépenser cet argent »
(DjHCue, « Tout s’efface »)

Aussi, il faut aller vite : le succès n’attend pas. Les textes sont donc improvisés, les mots racoleurs se bousculent, la parole devient logorrhée :

« Baiser dans la vie, ces fils de pute j’leur mets la fessée
Aisé ouais l’ami, sors-nous le biff on sait encaisser
Demande pas un feat on n’en fait pas, viens pas te baisser
Bien sûr c’est Paname alors tous les jours on est pressé »
(PNL, « Dans ta rue »)

La consistance liquide et grumeleuse évoque sans ambiguïté le tableau clinique d’une maladie infectieuse où resurgit une forte fièvre machiste :

« Mais bon c’est la vie, j’espère qu’en GAV t’as su t’taire
Tu veux être ma bitch, t’as un gros boule, c’est super »
(ibid)

On observera aussi une certaine intolérance, mais pas seulement au gluten :

« On est homophobe à 100 % et on l’assume. [...] Pour nous, le fait d’être homosexuel est une déviance qui n’est pas tolérable. » (Le rappeur Lefa dans International Hip Hop, juin 2010)

Comme Giulia Enders le suggère, tout est affaire d’éducation, qu’il s’agisse de nos boyaux ou de notre langage. Hélas, comme le scande BlackM : « J’ai troqué mes études contre un disque de platine. »

Il faut, en effet, avoir loupé beaucoup de cours d’histoire en classe de 3e pour oser donner à un collectif de huit rappeurs parisiens un nom évoquant directement les sections d’assaut (Sturmabteilung, organisation paramilitaire nazi qui a joué un grand rôle dans l’accession de Adolf Hitler au pouvoir, en 1933). Parfois, la purée verbale finit par laisser des taches. Prescription : une stricte quarantaine pour éviter la contagion et du riz à l’eau.


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1. Le Charme discret de l’intestin, Actes Sud, 2016. 

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