DE LA SALLE. – D’après les médias, nous sommes voués, non seulement à la longévité, mais aussi, grâce à la découverte d’un mollusque en mer de Chine, à l’immortalité. Ensuite, il se dit de plus en plus que l’Europe est devenue trop puissante : nous faisons de l’ombre à certains qui cherchent à provoquer la Troisième Guerre mondiale.

ÉRIC DANON. – Abolir la mort est le but de Google. Lors de ma dernière visite aux États-Unis, j’ai demandé à la NSA si elle considérait Google comme une solution ou comme un problème. Il est intéressant de constater que Google n’est qu’une solution aux États-Unis : l’entreprise répond à un marché, celui de vivre plus longtemps.

Pour ce qui est de votre seconde remarque, l’Europe a déjà tout vécu dans son histoire, ce qui lui confère un certain poids envers le reste du monde. Elle est capable de mener une réflexion sur la primauté de la politique et de l’humain sur le marché. Cela peut gêner, mais en réalité, l’on en revient toujours, dans les crises successives, à cette pensée et à cette réflexivité européennes, héritage des Lumières.

La question est de savoir si nous pouvons encore influencer le monde, c’est-à-dire continuer de diffuser la modernité des Lumières. Sommes-nous encore capables d’irriguer le monde avec une vision de la raison et du droit qui puisse le convaincre ? Nous sommes des enfants d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, c’est-à-dire de la raison, du droit et de la transcendance, mais le reste du monde ne souhaite pas nous suivre sur ce terrain.

Certains ne veulent pas du « désenchantement du monde » que décrit Max Weber. Ils demandent un espace public réenchanté, y compris par la religion. Peut-être est-ce en cela que l’Europe gêne le reste du monde marchand. La particularité française est de gêner, elle-même, l’Europe. Comme le disait un de nos grands auteurs, « la France est l’emmerdeuse du monde ». Pourvu qu’elle le reste, en cultivant sa spécificité.