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Le prix de la matérialité

parThierry LALOT, professeur des universités à Paris -Panthéon-Sorbonne

Articles de la revue France Forum

En France, on n'a pas de pétrole, mais on a un patrimoine.

Un nuage de poussière au-dessus de Palmyre. Les photos de mon père. Cette ferme limousine visitée par un agent du service de l’inventaire... Combien d’objets soumis aux cadences des destructions, à la volonté individuelle ou collective de conserver pour transmettre, aux désirs de nourrir davantage les liens qui nous lient au passé et l’actualisent en histoire.

La valeur est au coeur de la notion de patrimoine. La Révolution française l’instaure à l’échelle d’une nation1. Au début du XXe siècle, Aloïs Riegl fait oeuvre axiologique avec Le Culte moderne des monuments2. Plus tard, André Chastel et Jean-Pierre Babelon analysent le fait religieux, monarchique, familial, national, administratif et scientifique comme constitutif d’un système de valeurs3. Au cours des années 2000, Nathalie Heinich plonge au coeur de La Fabrique du patrimoine et montre notamment ce qu’il est interdit de dire et prescrit de faire pour légitimer l’étiquette « classable »4. De nombreux autres auteurs s’arrêtent avec la même profondeur sur les notions de patrimoine selon des approches aussi diverses que les sciences humaines et sociales sont étendues5. Ces sciences contribuent à la compréhension du diptyque « valeurs et patrimoine » quand, à Palmyre, la poussière retombe encore, quand les photos de mon père jaunissent, quand cette ferme du Limousin deviendra bientôt un monument historique.

À ce diptyque, mêlons la matérialité des objets et des sites, une matérialité qui, lorsqu’elle est réduite en poudre, ne nous attache jamais autant aux choses. invitons également la matérialité du patrimoine immatériel – aussi curieuse soit l’expression, d’apparence. Appelons donc cette matérialité pour discuter de la valorisation. Car, au fond, le prix à payer est...


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1. « La valeur nationale est première, fondamentale. […] Dans la France révolutionnaire, la valeur nationale est celle qui a légitimé toutes les autres, dont elle est indissociable, et à l’ensemble hiérarchisé desquelles elle communique sa puissance affective. », in Françoise Choay, L’allégorie du patrimoine, Le Seuil, 1999, p. 87-88. « Vous n’êtes que les dépositaires d’un bien dont la grande famille a le droit de vous demander compte », instruction de l’an II, Paris, 1793-1794, in Frédéric Rücker, Les Origines de la conservation des monuments historiques en France, Jouve, 1913.
2 . Traduction de Jacques Boulet, L’Harmattan, 2003.
3. La notion de patrimoine, Liana Lévi, 1994. première parution in Revue de l’art, no 49, 1980.
4. Les éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009.
5.Notamment, Émotions patrimoniales, sous la direction de Daniel Fabre, Les éditions de la Maison des sciences de l’homme, Cahiers d’ethnologie de la France, paris, 2013.

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