©Guillaume Mougin

Ouverture

parYves POZZO DI BORGO, président de l'institut Jean Lecanuet, ancien sénateur de Paris

Articles de la revue France Forum

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Nous sommes heureux de vous recevoir au palais du Luxembourg pour ce nouveau colloque1 organisé par l’institut Jean Lecanuet, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), dirigé par Frédéric Charillon, l’association EuroDéfense-France, présidée par le général Jean-Paul Perruche, et la revue France Forum.

Je remercie, en premier lieu, les intervenants de notre colloque, en particulier Alvaro de Soto, ancien secrétaire général adjoint de l’Onu, qui nous fait l’amitié d’introduire nos travaux, Pierre Vimont, ancien ambassadeur de France à Washington, et, enfin, Michel Barnier, conseiller spécial auprès du président de la Commission européenne pour la politique de défense et de la sécurité, qui clôturera cette journée de réflexion. Je remercie également Thierry Garcin, journaliste, spécialiste des questions internationales.

Le sujet d’aujourd’hui me tient à coeur en tant que vice-président de la commission des affaires européennes et membre de celle des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

Chacun connaît la réplique cinglante et ironique adressée par Staline à Churchill : « Le pape, combien de divisions ?» Pour Staline, la puissance est militaire et deviendra nucléaire : elle se mesure au nombre de têtes d’ogive ou de missiles balistiques. Les petites nations n’ont plus qu’à s’aligner. Staline regretterait certainement cette phrase s’il était toujours de ce monde, non seulement parce qu’un pape polonais lui aurait démontré qu’il aurait mieux fait de se taire, mais surtout parce qu’en ce XXIe siècle globalisé la puissance a profondément changé de nature. Ses expressions sont devenues multiples : scientifique, universitaire, culturelle, linguistique, économique, financière, technologique et normative. Chaque État peut, aujourd’hui, faire entendre sa musique dans le concert des nations sans pour autant posséder l’arme nucléaire, être membre permanent du Conseil de sécurité ou disposer d’un territoire de taille continentale.

Les puissances d’aujourd’hui restent, certes, les États- Unis et les vieilles nations européennes. Toutefois arrivent sur ce marché de la puissance de nouveaux acteurs. Sans même parler de la Chine, pensons au minuscule Qatar qui bouleverse le monde du sport ; à Singapour qui concentre l’expertise éducative ; à Dubaï qui est devenu le coeur de l’expertise aéronautique ; ou même à l’Islande, île stratégique à proximité du nouvel eldorado qu’est l’Arctique. Les exemples sont nombreux et j’aurais pu aussi évoquer le Kazakhstan dont les réserves énergétiques suscitent la convoitise de tous.

Autre fait nouveau, la puissance n’est plus limitée aux seuls États car ceux-ci ont, à présent, des concurrents sérieux. on les appelle les ANE, c’est-à-dire acteurs non étatiques. Ils surfent sur la globalisation et la révolution numérique pour réinventer le concept de puissance. Heureusement pour les États, ils ne chassent pas tous en meute et ont même souvent des objectifs opposés. Il demeure que le danger est bien réel : par la magie d’Internet et des réseaux sociaux, même un acteur isolé, inconnu, impécunieux peut causer, en quelques secondes, des dommages incroyables aux États les plus puissants.

Dans ce paysage si changeant, vous nous direz si nos schémas anciens sont à reconstruire, car même la dissuasion nucléaire semble devenue un bouclier bien fragile : que peut-elle faire face à un 11 septembre 2001 ou à un 7 janvier 2015 ? Nous vous attendons également impatiemment sur l’idée de puissance européenne. n’est-ce pas une illusion de la penser à 28 États membres ? Nous avons connu un monde bipolaire. Nous sommes peut-être passés à un monde unipolaire, voire « apolaire », comme le disait récemment Laurent Fabius devant la commission des Affaires étrangères du Sénat.  


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1. Le 13 avril 2015, salle Clemenceau, palais du Luxembourg. (NDLR

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