Michel Houellebeck - Sérotonine

Par les champs et les grèves de Normandie

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

La Normandie, enfin réunifiée depuis la dernière réforme territoriale, possède la chance d’avoir une cohérence géographique depuis le traité de Saint-Clair-sur-Epte, signé en 911, entre le roi carolingien Charles III le Simple et le chef viking Rollon. 

La Normandie, enfin réunifiée depuis la dernière réforme territoriale, possède la chance d’avoir une cohérence géographique depuis le traité de Saint-Clair-sur-Epte, signé en 911, entre le roi carolingien Charles III le Simple et le chef viking Rollon. Son actuel président de région, Hervé Morin, mène une politique culturelle ambitieuse, soucieuse des particularismes normands qui sont autant de chemins d’accès à l’universel. Terre de peintres et de navigateurs, la Normandie a vu naître, au XIXe siècle, des romanciers dont les œuvres peuplent nos bibliothèques : Jules Barbey d’Aurevilly, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant ou encore Jean de La Varende. Elle continue, aujourd’hui, de nourrir l’imaginaire des écrivains comme en témoignent deux romans récents, l’un qui caracole en tête des ventes et l’autre qui reçoit un joli succès d’estime. La même veine les traverse : un regard désenchanté, mais non dénué d’humour, sur le monde contemporain.

Dans Sérotonine, Michel Houellebecq applique les recettes habituelles qu’il utilise depuis vingt-cinq ans : une écriture accessible, un peu de sexe cru (il pourrait presque s’en passer sur le plan littéraire) et un regard acéré sur ses contemporains. Houellebecq a toujours entretenu un rapport étroit avec la Normandie. Son pseudonyme lui-même, nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle, indique une solide ascendance dans le Cotentin. Dans Extension du domaine de la lutte, son premier roman paru en 1994, Houellebecq n’épargnait pas le déclin de la ville de Rouen. Dans Sérotonine, il se penche, avec tendresse et une rare lucidité, sur la condition des agriculteurs normands et sur le malaise de la ruralité. Comme souvent visionnaire, il met en scène un mouvement semblable aux gilets jaunes dont les protagonistes bloquent l’autoroute A13 en dernier recours, avant une confrontation tragique avec les forces de l’ordre. Une chouannerie normande bienvenue pour le lecteur après des pages déprimantes sur les grandes solitudes de certains quartiers parisiens de la rive gauche. À la fin, tout redevient ouvert et c’est là l’essentiel.

Avec son premier roman, Les dieux cachés, olivier Maillart convie le lecteur à une errance plus éthylique que dogmatique dans le petit milieu des enseignants cherbourgeois, rebaptisant au passage le principal port du Cotentin du joli nom de «  Hirocherbourg  ». Un clin d’œil phonique à Marguerite Duras du fait de la proximité des lieux avec les installations nucléaires de La Hague. Les lecteurs qui connaissent la saveur inimitable des soirées iodées et alcoolisées dans les vieilles rues de cette préfecture maritime apprécieront l’ambiance recréée par l’auteur. Les protagonistes foutraques du roman vont tout essayer pour réveiller leurs esprits brumeux : l’initiation à la franc-maçonnerie, le culte antoiniste des fluides et le retour des anciens dieux vikings. Misère joyeuse des sous-préfectures modernes ! Mais il n’est pas besoin de connaître la contrée pour apprécier l’ouvrage : le rythme est là et l’humour, ravageur. 


Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion, 2019 – 22 € Olivier Maillart, Les dieux cachés, Le Rocher, 2019 – 16,90 €

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