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Repenser le travail de demain

parCéline LAURENCEAU, directrice de l'activité conseil en organisation et gestion des talents au sein d'Accenture Strategy France

Articles de la revue France Forum

La compétitivité viendra-t-elle des robots ou des hommes ?

On ne compte plus aujourd’hui les articles exprimant des points de vue terriblement pessimistes sur notre époque : nous nous dirigerions vers un futur dans lequel les robots feraient disparaître les emplois et où l’intelligence artificielle finirait même par penser à notre place. Ces analyses sont à corriger. D’une part, les nouvelles technologies sont un indéniable facteur de progrès ; d’autre part, les entreprises ne doivent pas négliger la source fondamentale de leur avantage concurrentiel : leurs talents humains.

À l’heure où la quatrième révolution industrielle prend son envol, les entreprises comme leurs employés doivent relever des défis d’une ampleur sans précédent. Non seulement la vitesse et l’ampleur des évolutions technologiques remettent fondamentalement en cause certains modèles économiques, mais elles redéfinissent les notions mêmes de main-d’oeuvre et de travail.

Plus la technologie rendra l’humain productif, plus la créativité humaine jouera un rôle capital pour les entreprises. Le temps est compté et les dirigeants d’entreprise doivent faire de la gestion des talents une priorité, sans quoi ils perdront une grande partie de leur compétitivité.

Comment engager une telle démarche ? Par où commencer ? Dans le cadre de son étude « Harnessing Revolution : Creating the Future Workforce », la société Accenture a interrogé 10 000 professionnels à travers le monde afin d’identifier les actions que peuvent mener les entreprises pour protéger leurs collaborateurs. Trois pistes de réflexion peuvent être explorées pour que les directions d’entreprise

construisent, dès aujourd’hui, la main-d’oeuvre de demain. 


ACQUÉRIR DE NOUVELLES COMPÉTENCES. Les travailleurs sont, aujourd’hui, parfaitement lucides sur la nécessité de développer de nouvelles compétences pour rester qualifiés. Ainsi, l’enquête montre qu’en doublant le rythme de la formation la part des emplois menacés par une automatisation complète d’ici à 2025 pourrait être considérablement réduite : de 10 % à 4 % aux États-Unis, de 9 % à 6 % au Royaume-Uni et de 15 % à 10 % en Allemagne.

Les travailleurs tendent à préférer la formation continue. Or, c’est précisément ce que permettent les technologies intelligentes. Ainsi, par exemple, les compagnons d’Airbus affectés à la ligne d’assemblage de l’A330 sont équipés de lunettes connectées qui les assistent dans leur travail quotidien. Cela renforce leur productivité et améliore la qualité de service tout en aidant les employés à acquérir de nouvelles compétences sur leur lieu de travail.

Cependant, l’essentiel se trouve ailleurs : au-delà des efforts de requalification, il s’agit avant tout de proposer un « scénario de vie » plus pertinent et plus dynamique à l’ère du numérique. Pour les générations précédentes : le scénario classique était l’école, l’université, pour ensuite consacrer sa carrière à un domaine d’activité particulier. Mais les temps ont changé et un nouveau scénario de vie est en train de devenir la norme : on se forme, on travaille, puis l’on se forme de nouveau. 


REPENSER LE TRAVAIL. Les changements démographiques ont autant d’impact que les évolutions technologiques. Les travailleurs les plus âgés partent, aujourd’hui, massivement en retraite et, dans moins d’une décennie, les millennials représenteront 75 % de la main-d’oeuvre. Les travailleurs de la génération Z, la première à être véritablement née avec les technologies numériques, arrivent, eux, sur le marché du travail. Au-delà des différences entre ces groupes, l’aspect le plus intéressant est la puissante dynamique intergénérationnelle qu’il est possible de construire.

L’enquête d’Accenture montre, en effet, que 56 % des travailleurs pensent changer d’employeur dans les cinq prochaines années et 67 % envisagent de passer au travail indépendant ou freelance. Pour cela, les entreprises doivent mettre en oeuvre des modèles de management plus flexibles, notamment en redéfinissant les postes, qui ne doivent plus être basés sur une fonction précise, mais évoluer de façon dynamique au fil des projets. Les entreprises doivent encourager une plus grande autonomie et permettre à leurs équipes d’expérimenter et de collaborer, en interne comme en externe. L’individualisation des rémunérations, les nouvelles possibilités de formation et l’émergence d’une offre de postes fondée sur des missions et des projets spécifiques permettront de créer une communauté dynamique dans laquelle tous les travailleurs, qu’ils soient employés ou indépendants, auront à coeur de rester connectés à une organisation. 


RENFORCER LE VIVIER DE TALENTS. Les entreprises doivent élargir leur champ de vision pour renforcer collectivement leur approche du recrutement. Elles doivent inventer de nouvelles façons de collaborer avec les pouvoirs publics et le monde de l’enseignement afin d’aligner la formation des jeunes avec les besoins économiques.

Le Réseau mondial pour l’apprentissage1 offre un bel exemple à cet égard : il rassemble des entreprises, des associations et d’autres organisations afin de promouvoir la mise en place de programmes d’apprentissage de qualité. Sa mission est de créer des perspectives d’emploi pour les jeunes en alignant leurs compétences et les besoins des entreprises.

Les associations professionnelles prennent également des initiatives pour combler les pénuries de compétences. Ainsi, le NASSCOM2 aide le secteur public indien à créer de nouveaux cours sur des sujets comme l’analyse des données, l’automatisation ou encore l’internet des objets.

La quatrième révolution industrielle semble paradoxale : les humains pourront abandonner leurs tâches répétitives et robotiques et travailler en partenariat avec des machines intelligentes qui leur permettront de se consacrer à des tâches plus créatives. Les travailleurs doivent donc apprendre à collaborer avec les machines pour être en mesure d’assumer de plus grandes responsabilités.

Cependant, l’automatisation a ses limites et c’est bien grâce aux humains, et non pas aux robots, que les entreprises parviennent à s’implanter sur de nouveaux marchés, à imaginer de nouveaux produits et à concevoir des expériences pertinentes. Si les compétences STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) restent largement privilégiées, des attributs tels que la flexibilité cognitive, la créativité et la capacité à résoudre des problèmes complexes seront assurément des facteurs d’accélération du succès.

Les dirigeants les plus clairvoyants seront ceux qui parviendront à trouver le juste équilibre et à mobiliser les nouvelles technologies pour faire grandir leurs employés. Les travaux d’Accenture montrent que tous les travailleurs, quels que soient les générations et leurs niveaux de compétence, semblent prêts à accepter les nouvelles réalités technologiques du monde du travail : 84 % d’entre eux pensent que les nouvelles technologies contribueront à une amélioration de leur expérience de travail au cours des cinq prochaines années. Un leadership puissant sera cependant requis, en ces temps incertains, pour réaliser cette ambition. Avec les travailleurs à leurs côtés, les dirigeants ont rarement eu une telle chance (doublée d’une obligation) d’agir de façon décisive pour parvenir à des issues positives qui bénéficieront à la fois aux entreprises, aux individus et à la société dans son ensemble.  


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1. Global Apprenticeship Network (GAN). 
2. National Association of Software and Services Companies, association nationale indienne du logiciel et des entreprises de services. 

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