Les financements innovants, nouvelle arme de lutte contre la pauvreté
Articles de la revue France Forum
Il est temps d'inventer une mondialisation de la solidarité.
Sur sept milliards d’êtres humains dans le monde, un milliard de personnes vivent avec moins de 1,25 dollar (0,95 euro) par jour. Si quatre milliards vivent avec moins de 8 dollars (6 euros), un milliard de personnes sont en train de sortir de la pauvreté et le milliard restant, les « happy few», est composé essentiellement par les Occidentaux et les élites économiques des pays en développement. L’action économique demeure le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, bien que les pauvres soient les grands oubliés du capitalisme financier. Si la mondialisation de l’économie a été faite par les hommes d’affaires, celle de la solidarité n’existe pas. Elle doit venir des hommes politiques, tout particulièrement des chefs d’État. Regardons les faits en face : le nombre d’extrêmes pauvres augmente, car il s’agit de la catégorie de la population qui a le plus fort taux de fécondité (Niger : 7,03 enfants par femme en âge de procréer ; Mali : 6,25 ; Somalie : 6,17, etc.) ; la crise économique touche de plein fouet les économies occidentales, diminuant ainsi leur aide aux pays les plus pauvres, préférant se replier sur euxmêmes ; enfin, les pays émergents, pauvres devenus riches, estiment qu’ils doivent d’abord continuer à s’enrichir avant de penser aux autres... Ainsi se dessine un « effet ciseau » entre des besoins (santé, éducation, nutrition, eau, infrastructures, etc.) en constante augmentation et une diminution des moyens financiers. C’est ce déficit en besoins vitaux, à commencer par ceux liés à la santé, qu’il s’agit de combler en créant les conditions d’une mondialisation de la solidarité. Rappelons qu’actuellement un enfant
meurt toutes les trois secondes d’une maladie curable, faute de personnels soignants et de médicaments. C’est une situation dramatique et inacceptable. Il est temps d’agir !
TAXATION DES BILLETS D’AVION. Partant de ce constat, les présidents Chirac et Lula décidèrent de s’engager dans la voie des financements innovants pour le développement. Il s’agissait de mettre au point une taxation des activités économiques globales qui profitent le plus de la mondialisation : les billets d’avion, les transactions financières, le réseau Internet, les téléphones mobiles et les ressources extractives. Ils m’ont chargé de commencer par une microscopique contribution de solidarité de 1 euro sur chaque billet d’avion. C’est ainsi que nous avons créé, en septembre 2006, à l’Onu, Unitaid, organisation internationale permettant l’accès aux médicaments luttant contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Quatorze pays participent déjà, ayant permis de récolter 2,5 milliards de dollars en six ans. D’autres s’apprêtent à adhérer. Et les résultats sont unanimement reconnus : aujourd’hui, Unitaid finance le traitement de 8 enfants sur 10 soignés contre le sida dans le monde, 351 millions de traitements contre le paludisme et 8,5 millions contre la tuberculose. unitaid a donc prouvé au monde qu’une contribution totalement indolore pour celui qui la paie constitue la différence entre la vie et la mort pour celui qui en bénéficie. Par exemple, un seul euro permet de sauver trois enfants du paludisme. Durables et donc prévisibles, ces financements innovants permettent ainsi d’aider des programmes de développement à long terme. C’est ainsi qu’Unitaid s’est spécialisé dans un secteur : créer des marchés de médicaments et de tests diagnostiques là où ils n’existent pas. Dans les pays en développement, deux facteurs se conjuguent et sont à l’origine des effrayants taux de mortalité : d’une part, l’extrême pauvreté des habitants et l’absence d’assurance maladie qui expliquent que personne ne peut acheter de médicaments ; d’autre part, les règles internationales de la propriété intellectuelle qui protègent tellement les brevets qu’un malade à Bamako ou à Addis Abeba doit attendre entre quinze et vingt ans pour bénéficier du même médicament que celui qui habite Londres ou Paris. Quelle injustice de voir un enfant mourir parce qu’il a eu le « tort » de naître là où il ne fallait pas ! Nous avons donc mené deux actions : baisser le prix des médicaments de 60 à 80 % et créer un nouveau mécanisme (la « communauté de brevets ») pour permettre, pour la première fois, aux plus pauvres d’avoir accès aux mêmes médicaments que les plus riches. Nous l’avons fait pour le sida. C’est une première étape.
DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES AU PÉTROLE. De la même manière, les transactions financières constituent un moyen majeur pour changer d’échelle et réaliser la mondialisation de la solidarité. Une première victoire a été la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) en France, en mars 2012. Le taux proposé était de 0,1 % par transaction. Aujourd’hui, onze pays européens ont décidé de l’appliquer. Toute la difficulté réside maintenant à attribuer une partie des fruits de cette taxe au combat contre la pauvreté et de ne pas tout garder dans nos budgets. La France a montré l’exemple en 2013 en attribuant 15 % de la TTF aux pays les plus pauvres. Le pétrole constitue notre dernière avancée. Après des années de discussions, nous avons convaincu plusieurs chefs d’État africains de prélever 10 cents de dollar par baril de pétrole pour lutter contre la malnutrition chronique qui touche plus de 30 % des enfants du continent africain et d’Asie du Sud-Est, avec des conséquences cérébrales expliquant en grande partie les retards et les échecs scolaires dans ces régions du monde. Il s’agit, là encore, d’une contribution indolore : 0,001 % ! Ainsi, lors de l’assemblée générale des Nations unies de septembre 2014, le président de la République du Congo a annoncé que son pays verserait cette contribution de 10 cents pour chaque baril géré par l’État. Cinq petits millions de dollars par an pendant cinq ans permettraient, par exemple, de traiter la malnutrition au Cameroun. Toutes les études montrent que la croissance annuelle passerait alors de 4,5 à 11 % du PIB basculant le statut du pays vers celui d’un pays émergent. En conclusion, oui, le monde peut changer par de toutes petites et indolores contributions. Oui, la solidarité peut se mondialiser, seule solution pour éviter un chaos mondial que l’on voit poindre au fur et à mesure que l’extrême pauvreté fait le lit des extrémismes radicaux...