Tous publicitaires !
Articles de la revue France Forum
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On peut constater, enthousiaste ou nostalgique, que le paysage audiovisuel s’est trouvé bouleversé par Internet. à l’ère bénie de la prospère Société des droits de reproduction mécanique succède un temps non moins respectable où quelques secondes suffisent au moindre soupir d’artiste bankable pour faire le tour de la planète et se changer en or. Serveurs vidéo et réseaux sociaux sont devenus les normes de consommation « culturelle » ; laissant s’effondrer l’arrière-garde des supports physiques, disques et DVD, ces nouveaux marchands en profitent pour saturer sans vergogne les jeunes cerveaux de messages promotionnels pour des produits virtuels qui serviront à leur tour de supports publicitaires pour des SMS surtaxés, des jeux en ligne payants, des publicités chronophages... L’artiste est devenu l’homme-sandwich du commerce dématérialisé. Si tout semble changer dans cette nouvelle répartition des pouvoirs, seule persiste la séparation entre un art mercantile, surestimé, et l’art véritable, inestimable. Chaque saison voit apparaître son lot de succès planétaires, playlist majoritairement anglophone dont les victimes auront oublié jusqu’à l’existence l’année suivante. Le dernier tube de Pharell Williams, Happy, recyclage habile du rythm and blues des années 1940, sera soumis, on l’espère, au même destin : pas un pet de musicalité originale ne vient rehausser cet hymne pâlichon à la remuante Amérique.
Pour tenter de fabriquer soi-même ce type de sous-produit, des logiciels simples et coûteux inondent les rayons des enseignes grands publics. Ce qui se vend n’a pas de valeur artistique et l’auditeur soucieux de combler son oreille peut se tourner vers les promos « Musique classique » à prix cassé de son hyper, vers les piles de vinyls échoués dans les vide-greniers, ou bien vers le subventionné : à l’IRCAM, cette année, les dernières journées portes ouvertes et les représentations en accès libre du festival ManiFeste (du 11 juin au 10 juillet 2014) ont donné de l’actualité musicale une image moins obstinément poussiéreuse. La créativité, la vraie, se conjugue aussi sur le mode gratuit : des logiciels libres de droits comme CSound, Open Music (développé à l’IRCAM) ou Pure Data permettent de se familiariser avec les concepts et les procédés musicaux actuels comme la spatialisation, la programmation modulaire, la synthèse granulaire, etc. Tout change, rien ne change. La partition sacrée entre riches et pauvres se dote simplement d’outils plus sophistiqués où la norme qualitative des nouveaux loisirs calibrés pour la plèbe est l’addiction. Après l’idéologie du « Tous artistes ! », la notion de droit d’auteur, pulvérisée par le marché de la publicité généralisée, réduit encore l’espace vital des professionnels : après les concours les plus prestigieux, les radio-crochets les plus sélectifs, voilà nos musiciens, nos bêtes de scène, nos divas, nos idoles obligés de s’imaginer en support publicitaire ! À retrouver sur trois double-vés point etc., etc.