Les Champions d'Hitler de Benoît Heimermann
Articles de la revue France Forum
Chacun a l’image en tête tant cette archive est passée et repassée sur les chaînes de télévision du monde entier.
Nous sommes à Berlin, en août 1936. Le stade olympique est plein à craquer. L’athlète noir américain Jesse Owens truste records et médailles. Ses rivaux aryens s’inclinent les uns après les autres devant ce champion d’exception, petit-fils d’esclaves de l’Alabama. C’en est trop pour Hitler qui, nous dit la légende, quitte, hors de lui, la tribune officielle : tout sauf serrer la main d’un champion noir. La propagande se heurte à la noble incertitude du sport. C’est ce que nous décrit Benoît Heimermann : la mise en place d’une propagande sportive et son échec systématique. Comme une fatalité.
L’auteur nous raconte le destin de neuf sportifs allemands, tous programmés pour gagner, mais surtout celui du grand maître de cette politique, non pas Hitler, finalement peu intéressé par le sport, mais son ministre, le Reichssportfuhrer Eckart Hans von Tschammer und Osten. Sa mission, ou plus exactement sa croisade, est simple : organiser la « “sportivation” d’une société humiliée », celle de l’Allemagne aux 1,7 million de morts et aux 4,4 millions de chômeurs. À cause du traité de Versailles, l’Allemagne ne peut se réarmer militairement qu’avec prudence. Qu’à cela ne tienne, elle se réarmera sportivement, Tschammer und Osten en étant le grand organisateur. Les Jeux olympiques d’hiver de Garmish, puis surtout ceux d’été à Berlin, en janvier et en août 1936, marquent l’apogée de cette politique de célébration hygiéniste des corps et de la performance de la race élue.
Les athlètes allemands, on le découvre heureusement, sont loin d’être tous soumis ou dupes de cette manipulation, mais aucun n’ose se soustraire. À une exception : Albert Richter. Pistard cycliste à l’entraîneur juif, arrêté et tué par la Gestapo pour insoumission répétée au nazisme. Au reste, les réticences ou les protestations des autres athlètes, pays ou instances sportives internationales sont rares, quand ceux-ci n’affichent pas, à leur tour, une sympathie marquée pour le IIIe Reich et sa propagande sportive. Bientôt la guerre succède à la compétition, les champs de bataille au stade, la mort à la vie. Hans von Tschammer und Osten aura néanmoins des héritiers dans les futures démocraties populaires du bloc soviétique. Avec ce qu’il avait manqué au Reichssportfuhrer pour réussir son pari : le dopage, scientifique et organisé.