« Droits d'auteur et numérique : pour une juste rémunération des créateurs »
Articles de la revue France Forum
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France Forum. – L’accès aux oeuvres culturelles musicales et les habitudes d’écoute du public ont profondément modifié la sécurité juridique des auteurs. Une réforme du droit d’auteur à l’échelle européenne est-elle nécessaire ?
David El Sayegh. – Au fil du temps, les textes européens actuellement en vigueur se sont révélés contradictoires. La directive sur le commerce électronique de 2000 exonère les intermédiaires techniques de leur responsabilité juridique pour les contenus protégés qu’ils transmettent ou stockent. De son côté, la directive DADVSI de 2001 garantit un haut niveau de protection du droit d’auteur. Or, les intermédiaires techniques d’hier sont devenus les diffuseurs d’aujourd’hui et bénéficient toujours de ce régime d’irresponsabilité. Certaines plates-formes comme YouTube ou Dailymotion se présentent comme de simples hébergeurs, mais se comportent, en réalité, comme de véritables diffuseurs. Ces plates-formes génèrent des revenus publicitaires phénoménaux, sans pour autant rémunérer équitablement les ayants droit des oeuvres qu’elles exploitent. Une étude réalisée par Roland Berger, en novembre 2015, montre que les plates-formes internet pèsent près de 22 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Europe. Les biens culturels contribuent directement à près de 23 % de leur chiffre d’affaires, ce chiffre s’élevant à 66 % pour une plate-forme comme YouTube. Il est donc primordial d’adapter les règles européennes à ces nouveaux acteurs et de corriger le transfert de valeur entre les créateurs et ces plates-formes.
FF. – Comment la Commission européenne envisage-t-elle cette réforme du droit d’auteur ?
DES. – Quand Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a exprimé, en 2014, l’intention d’engager une réforme globale du droit d’auteur, la finalité était avant tout de créer un marché unique numérique et de faciliter pour cela la libre circulation des oeuvres au sein de l’Union européenne. Les premières orientations de la Commission n’étaient donc pas favorables au droit d’auteur. Grâce à la mobilisation des acteurs de la culture, et en particulier de la Sacem, la Commission a pris conscience de la nécessité de préserver les droits des créateurs dans le contexte d’exploitation massive de leurs oeuvres sur Internet. La Commission a ainsi intégré le sujet du transfert de valeur dans ses communications au Conseil du 6 mai 2015, « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » et du 9 décembre 2015, « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d’auteur ». En septembre 2016, la Commission a publié un projet de modification constitué de deux propositions de directives et deux propositions de règlements, réunis sous le terme « Paquet droit d’auteur ».
FF. – Concrètement, que proposent les textes de ce « Paquet droit d’auteur » présenté par la Commission européenne ?
DES. – La stratégie de la Commission européenne est axée sur trois points : harmoniser, en Europe, les exceptions dans le domaine de l’accès au savoir en ligne, favoriser l’accès transfrontière aux contenus, notamment audiovisuels, et améliorer le fonctionnement du marché de la distribution en ligne des biens culturels. C’est ce dernier point qui nous intéresse plus particulièrement. La Commission a pris en compte la nécessité d’un partage équitable de la valeur entre les ayants droit et les plates-formes donnant accès à des contenus téléchargés par les utilisateurs, comme YouTube : les plates-formes qui réalisent un acte de communication au public de contenus protégés doivent conclure des contrats de licence avec les titulaires de droits, sauf quand elles peuvent invoquer le statut d’hébergeur en raison de la passivité de leur rôle (considérant 38) ; les plates-formes qui stockent et proposent une grande quantité de contenus doivent prévoir des mesures techniques permettant de mieux réguler l’exploitation de ces contenus, soit en les identifiant, soit en empêchant leur utilisation illicite (article 13).
FF. – Ces propositions répondent-elles aux attentes des créateurs que représente une société comme la Sacem ?
DES. – La reconnaissance par la Commission européenne d’une nécessaire correction du transfert de valeur opéré au bénéfice des plates-formes internet est un succès pour la Sacem, dont les efforts en ce sens n’ont jamais faibli depuis 2013. Les propositions de la directive concernant la responsabilité des plates-formes UGC sont donc des points essentiels pour la Sacem et méritent encore d’être clarifiés. il ne faut pas oublier non plus qu’il s’agit de propositions qui seront amenées à faire l’objet de modifications. nous n’en sommes qu’au début d’un long processus qui verra certainement ressurgir des arguments fragilisant le droit d’auteur. Le récent rapport du député européen Marc Joulaud en est un exemple flagrant, puisqu’il prévoit de nouvelles exceptions obligatoires au droit d’auteur et restreint les possibilités d’engager la responsabilité des plates-formes numériques proposant des contenus culturels. Bien sûr, la Sacem est totalement opposée à de telles mesures qui constituent un danger pour les créateurs. Elle maintient toute sa vigilance sur ces questions et continuera de jouer un rôle actif dans la défense des droits des créateurs à l’échelle européenne.
FF. – Maintenant que la Commission européenne a publié ses propositions, quelle va être la suite de la procédure ?
DES. – Les projets de texte précités ont été transmis au Parlement européen et donneront lieu à un « trilogue », processus de concertation entre le Parlement, la Commission et les États membres qui siègent en Conseil des ministres européens. Au-delà des questions juridiques, il s’agit d’un vrai débat politique qui oppose la juste rémunération des créateurs au modèle du tout gratuit, il est donc nécessaire plus que jamais d’apporter un vrai contrepoids politique dans le débat européen qui s’engage.
Propos recueillis par Sylvère-Henry Cissé,
journaliste au groupe Canal +,
président de Sport & Démocratie