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Déracinés par le changement climatique

parSimon BRADSHAW, conseiller pour le changement climatique d’Oxfam (Australie)

Articles de la revue France Forum

Une nouvelle arche de Noé pour les siècles à venir.

Elévation  du niveau de la mer, tempêtes extrêmement puissantes, aggravation de la sécheresse... les impacts du changement climatique sont déjà bel et bien visibles. ils forcent des millions de personnes à quitter leurs foyers et leurs terres et menacent d’en déplacer de plus en plus à l’avenir.

Tandis qu’aucun pays n’est épargné par les impacts du changement climatique, les risques de déplacement de population sont beaucoup plus élevés dans les pays à faibles revenus et pèsent lourdement sur les personnes en situation de pauvreté. Les femmes, les enfants, les peuples autochtones et autres groupes vulnérables sont particulièrement touchés par ce phénomène. Etre forcé de quitter son foyer, son lieu de vie : voilà le coût humain et l’injustice profonde du changement climatique.

Les personnes les moins responsables du changement climatique sont aussi celles qui sont les plus impactées par ses effets et qui ont le moins de ressources pour y faire face. Le déplacement n’entraîne pas seulement perte des moyens de subsistance et insécurité : c’est aussi une rupture du lien culturel et ancestral profond qui lie une communauté à ses terres.

Pour comprendre les défis que posent les déplacements induits par le climat, il faut commencer par écouter les récits de ceux qui sont aux premières loges de la crise climatique.


UNE RUPTURE DU LIEN ENTRE LES COMMUNAUTÉS ET LEURS TERRES. Les peuples insulaires du monde, notamment ceux des Kiribati, des Tuvalu et des îles Marshall, sont aujourd’hui face à un défi existentiel en raison du changement climatique. La grande majorité de la superficie des Kiribati, y compris la capitale, South Tawara, principal réservoir démographique, se situe à moins de 3 m au-dessus du niveau de la mer. La montée des eaux, l’augmentation de la hauteur des vagues et l’amplification des ondes de tempête provoquent l’inondation des terres dont les communautés dépendent pour leur alimentation et contaminent leurs rares ressources en eau douce. Claire Anterea, membre du programme Kiribati Climate Action Network, déclarait il y a peu1 : « Mon plus grand espoir est tout simplement que mon pays subsiste, qu’il ne soit pas rayé de la carte. » Alors que les habitants des Kirabiti font tout leur possible pour s’adapter à ces difficultés et appellent de leurs vœux une action internationale plus importante sur le changement climatique, les projections les plus optimistes concernant l’élévation du niveau de la mer au cours du siècle présent prévoient l’engloutissement d’une grande partie des terres des Kirabati.

Quelques milliers de kilomètres plus à l’ouest, les communautés des îles du détroit de Torrès, dans l’extrême nord de l’Australie, vivent une histoire similaire. Les propos de Hilda Mosby, de l’île Masig, en témoignent2 : « Quand on parle de réinstallation ailleurs, il va de soi qu’il s’agit véritablement d’une solution de dernier recours. Nous sommes chez nous. Personne n’a envie de partir, de s’éloigner de ses racines, ou encore de quitter ceux qui sont en terre ici. Nous voulons tout essayer pour que notre communauté reste. »

Situé entre l’Australie continentale et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, cet archipel abrite plus de 4 000 indigènes des îles du détroit de Torrès qui entretiennent une connexion ancestrale avec la terre et la mer. Leur histoire, leur culture, leurs langues sont uniques. Les îles qui composent l’archipel sont confrontées à un ensemble de menaces sérieuses, parmi lesquelles l’érosion côtière, la montée des eaux, la dégradation des écosystèmes marins fragiles dont dépend la survie de la population. Erosion et inondations menacent, non seulement les habitats et les infrastructures, mais aussi les terres elles-mêmes, élément intrinsèque de la culture et de l’identité de ces peuples insulaires. Certains villages ont déjà été forcés de s’installer ailleurs.

Toutes les mesures devraient être mises en œuvre pour minimiser le risque de déplacement tout en envisageant des solutions pratiques pour ceux qui y seront néanmoins contraints.

En premier lieu, il s’agit pour les pays riches de prendre des mesures bien plus ambitieuses pour mettre fin à la pollution à l’échelle mondiale, conformément à l’accord de Paris et aux engagements pris pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Dans le même temps, le financement et le soutien aux communautés vulnérables doivent être augmentés et la capacité de résilience aux impacts du changement climatique, renforcée. Si tout doit être fait pour prévenir les déplacements de population, il est aussi capital de les préparer en amont et de s’assurer que les individus qui seront forcés de se déplacer puissent le faire en toute sécurité, dans le respect de la dignité humaine et selon les termes qu’ils auront fixés.

Bien que, pour le moment, la plupart des déplacés climatiques restent à l’intérieur de leur pays, de plus en plus d’entre eux risquent de devoir franchir les frontières nationales. La négociation d’un nouveau Pacte mondial sur les migrations prévue pour cette année est une occasion à saisir. En plus de garantir protection et assistance humanitaire aux individus soudainement déplacés en raison de catastrophes, le Pacte mondial sur les migrations doit encourager les pays à coopérer pour trouver des solutions dynamiques et pérennes pour les personnes contraintes de quitter définitivement leur lieu de vie en raison de la montée des eaux, de la désertification et autres impacts du changement climatique. Les solutions doivent permettre aux populations déplacées de conserver leur identité culturelle, la cohésion au sein de leur communauté, leur indépendance et leur souveraineté en cas de déplacement de grande ampleur. Elles doivent, de surcroît, s’assurer que les communautés aient le plein contrôle sur les décisions et qu’elles puissent choisir les conditions de leur déracinement.

Pour relever ces défis, une véritable solidarité s’impose de la part de la communauté internationale et en particulier des pays riches qui portent la responsabilité historique du changement climatique et ont la capacité de soutenir les communautés qui en subissent les impacts. Cela nécessite la pleine reconnaissance de ces impacts et l’engagement de défendre les droits et la dignité de tous.

Traduit de l’anglais par la rédaction
 

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1. Rapport « Déracinés par le changement climatique. Répondre au risque croissant de déplacement », Oxfam, 2017.
2. Ibid.

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