Jacob Collier, un prophète
Articles de la revue France Forum
Jacob Collier a 26 ans. À 17 ans, il publie sur Youtube des reprises de standards de Stevie Wonder qui le font remarquer du public et gagner deux Grammy Awards.
À 22 ans, il publie un album de compositions personnelles (In my room, 2016) dont il joue la quasi-totalité des parties instrumentales et vocales, toutes enregistrées « dans sa chambre ». Il excelle au piano, à la contrebasse, à la guitare et à la batterie, mais son domaine de prédilection est l’harmonie, en particulier l’harmonie jazz. Une interview (Youtube1) le montre parler d’égal à égal à ce sujet avec Herbie Hancock. Cette année, il vient de remporter deux nouveaux Grammy Awards pour deux arrangements de standards (« Moon river » de Henri Mancini et « All night long » de Lionel Ritchie) que l’on peut réécouter sur Djesse, un cycle de quatre albums dont les trois premiers volumes ont déjà été publiés.
Difficile de résumer en quelques mots l’ambitus musical du personnage. Si son langage favori reste le jazz, il montre, tout au long de ses arrangements comme de ses compositions, une capacité d’assimilation hors du commun. Les styles se mélangent, s’entrecroisent : la pop de Sting ou de Michael Jackson période Bad, les accents latino-américains du Pat Metheny de Still Life (Talking), Stevie Wonder, bien sûr, mais aussi Stravinsky.
Jacob Collier aime les rythmes impairs, les sons des instruments rares et, surtout, l’harmonie. Il a déjà mené une campagne de levée de fonds pour produire ses albums en harmonisant en direct sur Youtube des mélodies proposées par des fans ou des amis. Il aime que la musique se partage : les partitions de la plupart de ses arrangements désormais « culte » (« Moon River », « fascinating Rhythm », etc.) sont disponibles en ligne.
Musicien, son medium favori est la vidéo. Chaque morceau est l’occasion de mettre en œuvre un nouveau dispositif audacieux. Les premiers morceaux montrent sa bouille juvénile en six, huit, quatorze exemplaires face caméra, cheveux en pétard, autour de chorus totalement échevelés au mélodica. Les suivants s’étoffent peu à peu d’instruments variés, jusqu’au grand orchestre de « All night Long ». Le montage, d’une précision diabolique, reste dynamique, plein d’humour et d’humanité. Jacob se filme en plein air, dans son petit jardin de la banlieue londonienne, pour une reprise très gracieuse des Beatles (« Here Comes the Sun ») ; ou bien façon puzzle, dans sa salle de bain, muni d’instruments improbables (« All I need ») ; ou encore dans un hangar, en plan-séquence, au centre d’une chorégraphie de projections de lui-même jouant l’accompagnement (« Make Me Cry »). On y découvre une foule de musiciens et de chanteurs (Mahalia, Ty Dolla Sygn, Daniel Caesar) qui ont l’air de s’amuser beaucoup aux défis qu’il propose.
Il ne néglige pas la scène. et pour cause : le rythme qui bat au cœur du jeune homme lui donne une présence lumineuse qui enthousiasme des foules toujours plus nombreuses. Quincy Jones dit de lui qu’il est un génie absolu. La musique est grande. Jacob Collier est son prophète.
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1. https://www.youtube.com/watch?v=eRkgK4jfi6M (à partir de 8 mn 30 s).