Le dictionnaire du sens interdit - Erreur
Articles de la revue France Forum
ERREUR.
Qu’est-ce qui fait que l’on se trompe ? Il y a l’erreur due au calcul fait à la va-vite. Banal. Passons. Mais ce qui fixe l’esprit, c’est l’égarement irréparable qui survient au terme d’une longue réflexion. Qu’est-ce qui peut bien obscurcir l’esprit de Napoléon lorsqu’il fait franchir le Niémen à la Grande Armée, le 24 juin 1812 ? La Russie en se retirant du blocus continental ouvre, il est vrai, une brèche dans la domination européenne de l’empereur des Français qui, dès lors, ne voit pas d’autre issue que de se lancer dans la dramatique aventure où va sombrer sa puissance militaire. Comment comprendre que Hitler déclenche l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941, alors qu’il n’a jamais cessé de proclamer sa hantise de la guerre sur deux fronts telle que l’Allemagne du kaiser avait dû la mener en 1914 ? C’est qu’il pense qu’en détruisant l’union soviétique il va annihiler l’espoir de Churchill de se trouver un jour ou l’autre un allié à l’est. Plus fort : qu’est-ce qui peut expliquer que le même Hitler déclare la guerre aux États-Unis d’Amérique le 11 décembre 1941 ? C’est qu’il calcule que la guerre avec l’Amérique est inévitable et que, plus tôt elle éclatera, moins la puissance américaine aura eu le temps de se constituer. Erreurs de calcul sur toute la ligne, mais qui ne sont devenues évidentes qu’au fil du temps. Pendant une demi-année, l’Armée rouge, construite comme une armée d’offensive, aura été, hypothèse historique, comme assommée par une autre armée d’offensive, Hitler ayant dégainé le premier. Mais ensuite le rapport de force se sera implacablement imposé conduisant aux capitulations sans conditions de 1945. Erreurs aux dimensions de l’Histoire. Mais il y a aussi les erreurs du quotidien, ces dates de prescription que des juges, des avocats, des notaires consciencieux laissent passer ou ces informations inexactes que des écrivains pointilleux laissent traîner dans leurs livres. Auteur d’une biographie de Corneille, publiée en 1997 chez Flammarion, le signataire de ces lignes s’aperçoit, après parution, qu’à la page 220 de son ouvrage il a attribué à Nicolas Boileau un essai dû en réalité à Gabriel Guéret. La biographie étant rééditée en 2006 à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Corneille, le biographe en profite pour attribuer à Gabriel Guéret ce qui lui appartient. Sauf qu’il lui échappe que la phrase qui suit le passage rectifié commence par ces mots : « Son frère… » Le frère dont il s’agit est Gilles Boileau. Or, si Gilles Boileau est bien le frère de Nicolas Boileau, il n’est pas celui de Gabriel Guéret. Ainsi, voulant corriger une erreur, le biographe en laisse passer une autre tout aussi navrante. Plus grave. Dans le Mauriac politique, publié à L’Harmattan en 2017, on pouvait lire, à la page 16, un membre de phrase ainsi rédigé par l’auteur de l’ouvrage : « Albigeois fourvoyés dans l’hérésie cathare, exterminés au nom de la vérité » suivi d’une citation de François Mauriac : « et cela n’arrange rien que deux des protagonistes soient saint Louis et saint Dominique… » L’enchaînement de la citation avec le propos qui l’introduit revenait à imputer aux deux dignitaires l’extermination des Cathares. Maladresse d’expression diffamatoire qui fait dire à Mauriac ce qu’il ne dit en aucune manière. Les travaux historiques contemporains confirment bien que saint Dominique, dans sa mission de conversion des Cathares, n’a jamais usé que de l’arme de la prédication. Une réédition de l’ouvrage a heureusement permis d’exonérer saint Dominique et saint Louis de responsabilités qui n’étaient pas les leurs. L’erreur au quotidien : comme si une cécité de l’esprit interdisait d’envisager une opération ou une rédaction dans la totalité de ses implications. Et que dire de la tâche de chroniqueur dans une revue trimestrielle, sinon qu’elle expose celui qui tient la plume à délivrer des considérations dont la pertinence peut se trouver affectée par une circonstance venant à se révéler postérieurement à la rédaction du texte ? On sollicite l’indulgence