L’énergie en transition
Articles de la revue France Forum
La fée électricité au service du nouveau miracle italien.
Il y a cent ans, l’Italie traversait, en 1921, une grave crise économique : la dette publique avait triplé par rapport à la période d’avant-guerre, il y avait une augmentation de la monnaie en circulation, une hausse de l’inflation et du chômage. S’ajoutaient les 600 000 victimes de la grippe espagnole et un marché du travail qui avait du mal à absorber les soldats licenciés.
Trente ans plus tard, après la fin de la dictature fasciste et des tragédies de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie était en plein boom économique. Les bases étaient donc posées pour une croissance spectaculaire, qui s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 1960, capable de hisser le pays parmi les huit premières puissances industrielles du monde.
Cent ans plus tard, la pandémie a frappé un pays plus fragile que d’autres sur les plans économique, social et environnemental. Un pays qui est sorti de la crise financière de 2008-2009 avec de profondes blessures, un endettement public élevé et un taux de chômage en hausse. Comme l’a écrit le président du Conseil italien, Mario Draghi, « entre 1999 et 2019, le PIB en Italie a augmenté de 7,9 %. Au cours de la même période, en Allemagne, en France et en Espagne, la hausse a été respectivement de 30,2 %, 32,4 % et 43,6 %1. »
Une fois de plus, la Covid-19 a placé l’Italie devant des choix inéluctables. Parmi ceux-ci, la nécessité d’accroître sa productivité et sa compétitivité, d’accélérer la numérisation, de simplifier les processus bureaucratiques et, enfin, d’orienter les capitaux vers des investissements à haut niveau technologique et durable. L’Italie sait faire des miracles. Cependant, elle dispose de moins de temps que par le passé car, dans le monde numérique, le futur arrive bien plus vite.
L’ITALIE SAIT FAIRE DES MIRACLES. Depuis les années du « miracolo italiano », l’énergie a joué un rôle fondamental dans la croissance de l’économie et de l’industrie. Au cours des vingt dernières années, l’Italie a poursuivi dans ce sens en entreprenant la libéralisation du secteur électrique, en encourageant la rénovation d’un parc énergétique plus efficace et moins émetteur et en empruntant un chemin ambitieux en matière d’énergies renouvelables. Ainsi, en 2019, la production d’énergies renouvelables a atteint près de 100 TWh, soit près de 33 % du mix total de production électrique. En 2000, ce chiffre était de 55 TWh, soit 20 % du mix. L’éolien et le solaire couvrent, aujourd’hui, près de 44 TWh pour une puissance installée d’environ 31 GW. L’Italie a investi 82 milliards de dollars dans les énergies renouvelables entre 2010 et 2019, se classant au septième rang mondial ; le pays occupe la deuxième place au sein de l’union européenne (UE) pour ce qui est de la capacité et de la production à partir de l’énergie solaire photovoltaïque et la cinquième pour ce qui est de l’énergie éolienne. Le rôle du pétrole dans l’approvisionnement énergétique total est passé de 86 Mtep, en 2000, à 49 Mtep, en 2019, soit une baisse de 43 %. La demande de gaz s’est stabilisée autour de 60 Mtep au cours des dernières années tandis que le rôle du charbon a diminué de plus de la moitié. On voit donc clairement la croissance des biocarburants et des énergies renouvelables.
Il faut ajouter que la croissance du produit intérieur brut (PIB) a été associée à une efficacité énergétique qui a engendré la diminution – de 13 % entre 2010 et 2019 – de la production énergétique du pays au fil du temps. En plus, l’Italie a effectué un extraordinaire travail de transformation numérique avec l’installation de compteurs intelligents de deuxième génération dans tout le pays, au nombre de 20 millions aujourd’hui.
Le secteur énergétique repose sur de bonnes bases pour entreprendre une accélération de sa transition qui, loin d’être finie, vient, au contraire, juste de commencer. Le processus que l’Italie va maintenant expérimenter est une transition dans laquelle les énergies renouvelables vont connaître un autre bond en avant : le plan d’installation des parcs éoliens et solaires peut atteindre une capacité additionnelle de + 40 GW et bien plus en fonction du scénario qu’on connaîtra en 2030. Tous les secteurs réduiront leurs émissions afin d’atteindre les objectifs européens. L’efficacité énergétique, principalement guidée par l’électrification des utilisations finales, est essentielle aussi pour atteindre les objectifs de décarbonation. L’électrification s’appuie sur des réseaux de distribution qui, au fil des années, ont innové et se sont automatisés. La mobilité électrique va se diffuser à tous les secteurs (transport urbain et transport commercial). Les choix publics d’aménagement feront la différence, comme par exemple la décision d’installer ou non de plus en plus d’infrastructures de recharge. La consommation de gaz naturel et de produits pétroliers diminuera au total bien plus que de 20 %, réduisant ainsi la dépendance aux importations de combustibles fossiles.
Pour engager une phase d’expansion inclusive et durable, il faudra s’appuyer sur des points forts. Ainsi, certains indices de circularité font de l’Italie l’un des pays les plus performants d’Europe. L’Italie est aussi parmi les premiers pays matures pour la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière. Ses activités sont compétitives et internationalisées et les exportations sont la preuve d’un dynamisme encourageant.
La transition énergétique contribue à repenser les « cartes conceptuelles » des systèmes politiques, économiques et sociaux basés sur les hydrocarbures, créant de la sorte de nouveaux équilibres mais aussi une éventuelle fragilité. Les matières premières comme le lithium, le cobalt, les terres rares, le silicium auront toujours plus d’importance tout comme les éléments indispensables à une économie verte, numérique et résiliente. Le lien établi entre énergies renouvelables et réseaux électriques intelligents représente ainsi le cœur du « pacte vert » et déplace l’axe de confrontation de la « maîtrise de la marchandise » à une « maîtrise croissante de la technologie ». Dans le grand jeu de la transition énergétique, l’Italie peut jouer un rôle important. Elle possède des chaînes industrielles dynamiques, des indices de circularité économique élevés, l’un des systèmes de distribution d’électricité les plus numériques du monde. Le tout est accompagné d’une présence solide, via les meilleures entreprises nationales, dans les alliances industrielles de l’UE. L’Italie a de bonnes cartes qu’elle peut jouer dans un scénario où toute l’Europe se retrouve pour un meilleur continent et une contribution effective au futur durable de la planète.
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1. « Immaginazione e Creatività. Il Recovery Spiegato da Draghi », Il Foglio, 23 avril 2021.