Les ONG au coeur des écosystèmes du savoir
Articles de la revue France Forum
A l'issue de la seconde table ronde, les intervenants ont répondu aux questions de la salle.
ARMELLE LÉVY. – Florence Rizzo, avec quels acteurs et intervenants organisez-vous la formation continue ?
FLORENCE RIZZO. – Les intervenants sont à la fois des universitaires de l’université Paris-Descartes et des acteurs de l’intelligence collective qui vont former à des méthodes et des pratiques alternatives pour porter une innovation de manière collective et collaborative. L’Éducation nationale reste une institution fortement marquée par l’organisation hiérarchique et il est important de réinsérer de l’horizontalité, une culture de la collaboration, pour faire société ensemble.
ARMELLE LÉVY. – Des médecins sont-ils également investis dans ce programme ?
FLORENCE RIZZO. – Non, nous n’avons pas encore de médecin dans l’équipe. S’agissant de cette articulation entre pensée et action, nous mettons en place un projet qui attire plusieurs milliers d’enseignants en France, appelé Bâtisseurs de possibles. Ce projet, qui s’appuie sur une pédagogie de l’action et de l’engagement, a pour vocation de permettre aux enfants de se questionner sur le monde, sur des sujets comme les objectifs du Millénaire, sur la santé, la pauvreté ou la pollution. Le projet pourrait être relié à l’enseignement moral et civique. En effet, nous proposons aux enseignants d’accompagner les enfants dans leurs questionnements sur le monde pour les aider à inventer et implémenter des solutions et à prendre conscience des responsabilités qu’ils auront face aux défis de demain.
ARMELLE LÉVY. – À partir de quel âge les programmes de la Khan academy sont-ils accessibles ?
PATRICK WEIL. – Dès le début de l’apprentissage, vers deux ans. Salman Khan a commencé à tourner des vidéos dans lesquelles il était présent, mais sans support, puis il s’est aidé d’un tableau. Il s’est alors aperçu que sa petite cousine, pour qui il réalisait ces vidéos, apprenait avec plus de facilité quand il utilisait le tableau noir. C’est donc finalement l’ancienne méthode du tableau noir qui fonctionne le mieux et qui, associée à son talent de pédagogue, a fait le succès de la Khan academy.
YVES POZZO DI BORGO. – Le « système » en place fait-il appel à vous, vous soutient-il ou rencontrez-vous des difficultés à proposer vos idées ?
CATHERINE BILLARD. – Dans le cadre de Paris Santé Réussite, nous avons travaillé en collaboration avec le recteur de l’académie de Paris. Pourtant, les initiatives sont parfois perçues comme étant en rivalité avec l’organisation du système. L’Éducation nationale n’est pas suffisamment informée des avancées des sciences cognitives ou des autres systèmes d’éducation dans le monde. En guise de comparaison, les études de médecine sont composées d’un apprentissage théorique, puis d’une expérience de terrain qui fait l’objet d’un debriefing ; ce n’est pas le cas dans l’éducation nationale. Une plus grande ouverture serait sans doute bénéfique au système.
FLORENCE RIZZO. – Le mot clé est : « endogène ». Or, il faut intégrer de la diversité dans tous les systèmes, quel que soit le domaine, et savoir s’ouvrir à d’autres regards. Le système français dans son ensemble est confronté à un problème de confiance. La méfiance et la suspicion prévalent toujours avant de faire appel à un intervenant extérieur. Yann Algan a analysé les dégâts incroyables que cause cette culture de la défiance sur l’économie française. Il devient alors difficile d’imaginer construire un projet ensemble. Nous devons nous attacher à développer une culture de la confiance.
PATRIC KWEIL. – Les différentes initiatives que j’ai proposées n’ont jamais été accueillies avec grand enthousiasme. Notre projet de traduction de la Khan Academy s’est fait dans une très grande indifférence. En revanche, une proposition de parlementaires pour que l’accès aux filières sélectives soit ouvert aux meilleurs élèves, quel que soit leur lycée, a été adoptée alors que l’administration de l’Éducation nationale et les deux ministres étaient opposés à cette idée, qui impliquait un changement d’habitudes et une réforme des procédures. Nous sommes en train de mettre en place un nouveau projet avec Marc Lavoine et Raymond Domenech pour que les enfants malades puissent être connectés en direct avec leur classe. Ce projet est soutenu par le ministère.
ARMELLE LÉVY. – Pour transmettre la culture et les savoirs, privilégiez-vous les livres ou les tablettes, Patrick Weil ?
PATRICK WEIL. – L’apprentissage numérique doit rester associé à un apprentissage plus traditionnel, basé sur des livres. Certaines bibliothèques universitaires ont, à tort, vendu l’ensemble de leur collection. Nous assistons, aujourd’hui, à un retour du livre papier. De même, le professeur reste indispensable. Salman Khan lui-même revalorise l’image de l’enseignant, bien que son rôle soit amené à changer pour devenir plus socratique et en interaction avec l’élève.
JEAN-JACQUES SLOTINE. – Les avancées technologiques vont faire progresser la situation. La technologie s’adapte facilement aux besoins et aux progrès de l’enfant. L’ordinateur sera également bientôt capable de percevoir ce que l’enfant ne comprend pas.
PATRICK WEIL. – Un autre avantage de la Khan Academy est la durée des vidéos, d’une durée maximale de dix minutes, pour éviter une perte d’attention. Il est aussi plus aisé, avec ces formats, d’impliquer les parents à la progression des enfants.
ISABELLE SERVANT. – Au-delà des savoirs, le numérique présente certaines limites. Nous avons besoin de compétences sociales et de créer du lien pour trouver des solutions ensemble. La créativité naît de l’échange avec d’autres individus. Il est important de remettre cette compétence sociale au coeur des éléments à transmettre en priorité.
JEAN-JACQUES SLOTINE.– Au MIT, les étudiants peuvent précisément interagir et échanger sur des forums.
ARMELLE LÉVY. – Pour les cours inversés, comment s’effectue l’évaluation ?
PATRICK WEIL. – L’enseignant utilise la Khan Academy comme un outil dans le cadre de sa classe, notamment pour l’évaluation des élèves. De plus, les élèves s’autoévaluent, dans le sens où ils constatent s’ils sont capables de répondre ou non, puis ils visualisent la bonne réponse dans la vidéo jointe.
DE LA SALLE. – En France, le CNED a rendu service à nombre d’étudiants. Pourquoi ne pas réformer cet outil dont nous disposons ?
PATRICK WEIL. – J’ai visualisé une vidéo du CNED, certes très bien réalisée, mais qui s’est révélée difficilement compréhensible et dont la production a nécessité des fonds importants. Le CNED n’est pas en mesure d’être en compétition avec la Khan Academy. Une réforme pourrait être envisagée, mais il semble difficile de faire face au succès de la Khan Academy au vu du nombre d’usagers.