COVID-1984 ?
Articles de la revue France Forum
La crise sanitaire qui secoue notre pays (et le monde), depuis maintenant de nombreux mois, est un puissant révélateur.
La crise sanitaire qui secoue notre pays (et le monde), depuis maintenant de nombreux mois, est un puissant révélateur. L’épreuve qu’elle inflige à la collectivité nationale et à la planète entière nous en apprend énormément sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes intrinsèquement devenus. Nous disposons, désormais, d’un peu de recul et le moment est peut-être venu de faire un effort d’introspection ou, si l’on préfère, de procéder à un petit examen de conscience. La Covid-19 a bon dos : n’en avons-nous pas trop fait ? N'avons-nous pas accepté trop de choses en son nom ? Fallait-il mettre un pays quasiment à l’arrêt, avec les conséquences économiques, sociales et humaines incalculables que cela va avoir à terme, pour un virus qui a franchi le cap des 100 000 victimes, en France (avril 2021)… et même s’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il en aurait fait beaucoup plus si des mesures très strictes, allant jusqu’au confinement d’une population, n’avaient pas été prises ? S’il est, en l’état, prétentieux de vouloir répondre à ce genre d’interrogation, au moins est-il sain de l’avoir bien présent à l’esprit.
En invoquant, ici, les mânes de George Orwell, c’est surtout le procès d’un certain type de comportement, tant individuel que collectif, qu’il faut peut-être commencer à instruire, au regard de nos libertés publiques (ou de ce qu’il en reste…). Le virus de la Covid-19 a joué un petit jeu satanique avec la somme de nos peurs… qu’il a élevée au carré avec l’appui de la technologie. Ces vieilles peurs ancestrales, remontant
au Moyen âge et même au-delà, sont brutalement revenues à la surface, surgissant du tréfonds de notre être, comme à l’époque des grandes épidémies de peste, de choléra ou de lèpre. Covid-19, que n’a-t-on pas justifié en ton nom ! Cette peur « immonde et immense » a suscité notre docilité et notre acceptation d’une société de la surveillance généralisée. Nous avons fini par intérioriser les termes du « discours de la servitude volontaire », cher au jeune La Boétie. Tous les grands dictateurs en ont rêvé, sans jamais y parvenir : nos vieilles démocraties névrosées l’ont fait, le plus naturellement du monde.
« Tester, tracer, isoler » est devenu le triptyque gagnant. En France, l’application « tous anti-CoVID » est un grand succès et une véritable fierté nationale, avec plus de 10 millions de personnes l’ayant téléchargée. Le discours est parfaitement rodé… et comment ne pas y adhérer ? « En vous faisant tester, vous protégez les autres et vous vous protégez vous-même ! C’est donc avoir une attitude raisonnable et responsable. Et plus vite nous aurons vaincu le virus, ensemble, plus vite nous serons débarrassés de cette application ! » C’est même du simple bon sens… sauf que « tous anti-CoVID » est en train de devenir, en raison de son succès, un redoutable outil de contrôle social, qui pourrait être un jour exploité à d’autres fins. Si des systèmes totalitaires avaient pu, jadis, bénéficier de cette technologie, on ose à peine imaginer ce qu’ils auraient pu faire en termes de traçage à distance des individus. « Un tel propos est inacceptable et irresponsable ; il est même franchement odieux et calomnieux car il revient à discréditer et, plus que cela, à frapper du sceau de l’infamie un outil qui est au service du bien commun, de la santé de tous !», objectera-t-on avec force indignation. Absolument, c’est tout à fait vrai… à ceci près qu’il nous faut faire preuve de modestie, de prudence, et pratiquer, en la matière, une sorte de doute méthodique : si l’être humain est capable du meilleur, il est aussi capable du pire, parfois… il l’a largement prouvé.
En France, durant le premier confinement, et sur la base du sacro-saint principe « tester, tracer, isoler », les pouvoirs publics n’ont pas hésité à placer malgré elles des personnes en « détention sanitaire » (c’est-à-dire en quatorzaine), dans des hôtels réquisitionnés pour la circonstance… et à le faire en toute légalité grâce à des textes d’exception l’y autorisant et votés en catastrophe par le parlement. L’air de rien, c’est une véritable traque, une « chasse à l’homme », n’avouant pas son nom qui s’est mise en place. Celui qui est positif et atteint de la Covid jouit de malchance, mais en plus il va être détecté et isolé, suivant des protocoles sanitaires très stricts. Pour lui, c’est donc la double peine. En réalité, elle est même triple : il sera, en plus, victime de la stigmatisation sociale, regardé par sa famille, ses voisins, ses amis comme un paria à éviter absolument, à fuir. Et tant pis pour ce qui peut lui arriver : l’essentiel, c’est de rester soi-même en bonne santé. Le virus a subitement altéré et même détruit notre rapport à l’altérité, notre générosité. Nos comportements individuels finissent par relever, à la limite, d’une logique de non-assistance à personne en danger. Le « gentil et pacifique » Canada est allé jusqu’à envisager de faire déporter dans le Grand nord canadien les personnes atteintes de la Covid, ce qui a fini par susciter un certain émoi au sein même du pays et une certaine indignation à l’extérieur : grâce à Dieu, le projet n’est pas allé plus loin !
Dans une société qui tend à se déshumaniser, à s’impersonnaliser trop vite, la technique aidant, bref à s’« ensauvager », paradoxalement, le citoyen anonyme victime du virus et de sa virulence portera désormais le numéro matricule 1984 et celles et ceux qu’il a contaminés pourront se consoler (et se venger) en se défoulant, chaque jour, contre lui, grâce à la « minute de haine » orwellienne. Dans une série télévisée culte (Le Prisonnier), le héros, incarné par l’acteur Patrick McGoohan, est détenu contre sa volonté par ses geôliers dans un village improbable dont il ne parvient jamais à s’évader. Il est, lui aussi, isolé, confiné. À ses geôliers, qu’il ne connaît pas et qui ne l’appellent pas par son nom mais par un numéro (6), il rétorque : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! » pour ce qui nous concerne, cette liberté est-elle encore à l’ordre du jour ? Ne l’avons-nous pas abdiquée, si ce n’est dans nos cœurs, du moins, déjà, dans nos têtes ?