La France et son industrie

parJean FLASSANS

Articles de la revue France Forum

Extrait du n° 98-99, novembre 1969

Le gouvernement vient de rendre public après dix-huit mois d’un inexplicable silence, le rapport du groupe d’experts du Comité de développement industriel1 dit rapport « Montjoie-Ortoli » créé en avril 1966 pour suivre l’exécution du Ve Plan dans le secteur privé.

Ce qui frappe dans le rapport du Comité de développement industriel, c’est la netteté d’une prise de position doctrinale et l’ambition d’une politique industrielle intégrée et cohérente qui jusqu’à présent a manqué à notre pays. La netteté de la prise de position générale est frappante. L’urgence impose l’adoption d’une doctrine poussant à fond la logique du marché concurrentiel et dont puissent être déduits des principes d’action. […]

L’urgence est affirmée d’une manière frappante : « Accorder la primauté au développement industriel pour survivre dans la compétition internationale, c’est donner une dimension nouvelle à la politique générale de l’état : la politique industrielle. » Le rapport se situe dans une perspective clairement datée : il s’agit de préparer notre économie à tirer parti de la décision d’ouverture prise par notre pays, de l’adoption du traité de Rome à la signature des accords du « Kennedy Round  », et d’établir les orientations d’une politique industrielle dont la mise en forme détaillée est explicitement confiée aux instances de préparation du VIe Plan pour la période 1970-1975.

L’urgence explique la netteté d’une option, parfois exprimée sans nuances […]. La phrase-clé est la suivante  : « Tout en restant dans une certaine mesure partagés sur le problème du rôle de l’état dans la vie économique, les membres du groupe ont souligné que le fonctionnement de notre économie industrielle devait être avant tout établi par référence aux lois d’un marché concurrentiel, ce choix quant à la doctrine nous était d’ailleurs pratiquement imposé, avec des exigences accrues par l’ouverture croissante de notre économie vers l’extérieur. » Il ne s’agit donc pas d’une option idéologique, mais de l’affirmation d’un principe d’efficacité valable dans l’immédiat.

Le profit. De ce principe découle la réaffirmation des « exigences d’une société industrielle » que sont la reconnaissance du profit d’entreprise comme motivation créatrice pour l’entreprise, non seulement pour les responsables, mais à tous les niveaux de l’établissement, et dans toutes les catégories sociales, la modernisation des moyens et de la gestion, le renforcement des structures industrielles professionnelles, et l’existence d’un environnement favorable. C’est évidemment la première exigence qui est fondamentale. Le profit est défini comme « l’élément décisif d’incitation des entreprises au dynamisme et à l’efficacité, instrument de mesure de leurs résultats et condition de leur développement ultérieur… (en ce qu’il) conditionne non seulement l’autofinancement mais encore l’accès aux autres sources de capitaux nécessaires au développement du marché financier en particulier  ». Primauté «  technique  » du profit qu’éclaire la distinction faite dans le corps du rapport entre le profit « récompense de l’esprit d’entreprise et qui joue un rôle moteur dans le développement industriel, et les “profiteurs” qui réalisent des gains immérités en jouant sur l’inflation, les rentes de rareté ou les ententes qui réduisent la concurrence… ».

Au niveau de la politique industrielle, c’est-à-dire de l’attitude de l’état vis-à-vis du développement industriel, l’objectif est d’exploiter les forces et de compenser les « faiblesses » du marché. Trois types d’actions composent cette politique industrielle. La plus fondamentale vise à réaliser ou maintenir un environnement favorable au développement industriel, et il en découle un nombre au total assez impressionnant de responsabilités dont il est demandé à l’état de les exercer non plus séparément mais en fonction de leurs incidences sur le fonctionnement du marché […]. Une seconde orientation tient aux modalités du comportement de l’état industriel ; où on y retrouve assez largement l’écho des recommandations du Comité des entreprises publiques, créé à la même époque que le Comité de développement industriel pour suivre l’exécution du Ve Plan. […] Enfin, troisième orientation, qui constitue une tentative originale, la première sans doute dans un document officiel publié, les critères que doivent respecter les interventions sélectives de l’état, c’est-à-dire les actions publiques d’aide ou d’incitation à un certain type de comportement des entreprises (recherche, décentralisation, etc.), d’un secteur ou d’une branche d’activité ou d’une entreprise particulière. Une fois posé le principe que « la politique industrielle de l’état doit en premier lieu s’abstenir de toute intervention spécifique toutes les fois où la seule existence d’un environnement économique neutre suffit à garantir le fonctionnement correct du marché pour le présent et l’avenir », les experts affirment que la politique industrielle est amenée à intervenir sélectivement dans les secteurs où le fonctionnement du marché se révèle, soit incompatible avec d’autres impératifs nationaux, auquel cas des risques d’incohérence se font jour, soit inefficace pour orienter le choix des entreprises. […]

Dans l’esprit même des rédacteurs eux-mêmes, ce rapport, tel qu’il est présenté, est plus une préface à la préparation du VIe Plan, qu’un manuel de politique industrielle. […]

Il reste que, sur le plan de la conception de la politique économique, le rapport apporte quelque chose de fondamental et de nouveau, qui tient à ce que la politique industrielle ne doit plus être une politique de l’acier, de l’atome ou de la chaussure… ni une politique de l’investissement, de la recherche, de la conjoncture… mais le terme de référence commun à ces politiques ; de même la politique industrielle n’est pas simplement une politique dont les actions visent expressément les seules activités industrielles, mais fournit le terme de référence en fonction duquel doivent être mesurées les incidences d’actions répondant à d’autres objectifs que le développement de la production,et arbitrés les choix de la politique tout court. […]

La création d’une grande Commission de l’industrie pour la préparation du VIe Plan auquel renvoie le rapport, réunissant chefs d’entreprise, syndicalistes et administrateurs, devrait permettre cet effort de recherche en commun grâce auquel une conception, somme toute révolutionnaire compte tenu de nos mentalités, pourra devenir opératoire pour les prochaines années.

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