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Le leadership au féminin, un mythe ?

parBeatrice BARBUSSE, maître de conférences en sociologie, administratice de la Fédération française de handball, membre de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

On ne naît pas manageur féminin, on le devient.

Il est de fausses croyances considérées comme des certitudes dont il est difficile de se débarrasser. Et en matière de management, elles sont florès tant les savoirs managériaux sont méconnus dans la communauté managériale comme le soulignent les chercheurs américains Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton dans un best-seller dont le titre est révélateur : Faits et foutaises dans le management1. Ces derniers constatent que les pratiques managériales ne reposent pas sur les savoirs accumulés par la recherche et donc que les manageurs agissent plus sans savoir ou, en tout cas, sans en savoir assez. Plus récemment, le sociologue français François Dupuy2 soulignait l’inculture managériale des décideurs entrepreneuriaux. En ce qui concerne les liens entre le leadership et le genre, il n’existe aucune raison qu’il en aille autrement.

Il n’est alors pas étonnant d’entendre fréquemment l’idée selon laquelle les femmes auraient un style de management différent de celui des hommes. Est-ce le cas ? Et si tel est le cas, quelles sont les caractéristiques du leadership au féminin ? En quoi se différencient-elles de celles du leadership masculin ?

Si la question du lien entre le genre et le leadership a fait l’objet de nombreuses recherches dans le monde anglo-saxon, c’est loin d’en être le cas en France. Soulignons que l’idée selon laquelle le genre a un impact sur le style de leadership est remise en question par un certain nombre de recherches récentes dont celles, pionnières en France, de Sarah Saint- Michel3


PROCESSUS DE SOCIALISATION. Même s’il n’existe pas de consensus sur la question, quelques éléments de réponse peuvent être avancés. Ainsi, les résultats des travaux de Sarah Saint-Michel sont sans équivoque : « il n’y a pas de différence majeure entre les dirigeants hommes et femmes. Leurs traits de personnalité et leur style de leadership sont les mêmes. Le sexe n’est pas une variable pertinente4. » il n’existe donc pas de différence naturelle entre le management d’un homme et celui d’une femme. Autrement dit, si différence il y a, cette dernière ne tient pas aux appartenances de sexe. Ce n’est pas parce que l’on naît homme ou femme que l’on a un style de leadership différent. 

En revanche, on constate une différence en fonction du sexe d’appartenance dans la façon dont le style de management est perçu. « On est au coeur même des effets des stéréotypes, qui contrarient les intentions des individus en les obligeant à se comporter différemment de ce que leurs valeurs leur dictent par devoir de se conformer aux injonctions sociales5.» Si les femmes et les hommes managent différemment, cela tient donc aux rôles sociaux incombant aux femmes et aux hommes, c’est-à-dire aux comportements attendus de leur part par la société, différents en fonction de leur sexe. Ainsi, on attend d’une femme qu’elle soit sensible aux relations interpersonnelles et aux fonctions de soutien alors que l’on attend d’un homme qu’il soit centré sur les tâches et les objectifs à réaliser. 

Or, les individus que nous sommes font l’apprentissage de ces rôles sociaux au cours de ce que la sociologie appelle le processus de socialisation. Comme de nombreuses recherches en sociologie l’ont montré, la socialisation des filles et des garçons diffère et donc celle des hommes et des femmes. C’est durant cette période que se fait l’apprentissage de ce que l’on nomme les stéréotypes de genre, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques associées à son sexe d’appartenance. D’un côté, le garçon apprend le courage, la force, la raison, l’autorité ; de l’autre, la fille apprend la grâce, la douceur, la finesse, la compréhension. 

In fine, il est donc logique que les femmes finissent par manager comme on attend qu’elle le fasse (plutôt avec douceur et compréhension) et, inversement, que les hommes exercent leur leadership comme on attend qu’il l’exerce (avec autorité et courage). Il est tout aussi logique que l’on finisse par voir ce qu’au fond on s’attendait à voir. De ce point de vue, on constate que la perception que l’on a des styles de leadership est stéréotypée aussi. Un même acte managérial ne sera pas interprété de la même façon selon qu’il est le fait d’un homme ou d’une femme. Voilà pourquoi on peut constater qu’il existe bel et bien un leadership féminin différent du masculin. 

Toutefois, ne nous y trompons pas. Si tel est le cas, cela est bien le résultat d’un processus de socialisation artificiel (conception constructiviste) et non naturel (conception essentialiste) et, surtout, d’une perception fréquemment biaisée. Cela ne tient à aucune différence innée, mais seulement à des comportements conformistes appris tout au long de la vie et, en particulier, durant l’enfance. 

Si l’on souhaite dans nos organisations des manageurs efficaces, il est donc important de rompre avec les stéréotypes de genre liés au management pour le plus grand bénéfice des hommes et des femmes manageurs, mais aussi managé-es.  


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1. « Signature », Vuibert, 2007. 
2. La faillite de la pensée managériale, « Points essais », Points, 2016. 
3. « L’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur le style de leadership », thèse soutenue en 2011, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 
4. « Les femmes dirigeantes sont des leaders comme les autres », Le Monde économie, 4 mars 2013. http://www.lemonde.fr/economie/article/ 2013/03/04/les-femmes-dirigeantes-sont-des-leaders-comme-les-autres_ 1842162_3234.html , consulté le 23 mars 2016. 
​5. Eveleblog, 10 juin 2013, http://www.eveleblog.com/oser/retour-surnotre-sondage-les-femmes-sont-el... , consulté le 23 mars 2016. 

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