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Salazar vu de France

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

À son sujet, Jacques Bainville parlait avec justesse de « dictature des professeurs »

À son sujet, Jacques Bainville parlait avec justesse de « dictature des professeurs ». Les historiens se penchent enfin sur les relations entretenues avec la France par la figure dominant la vie politique portugaise de 1932 à 1968, le francophile Antonio de Oliveira Salazar. Saluons d’abord l’étude de l’ambassadeur Patrick Gautrat consacrée à la période 1940-1944. Idéologiquement proche de Pétain et de l’État français, qu’il reconnaîtra officiellement jusqu’au bout, le Portugal de Salazar ne négligea pas pour autant les Français libres, en cela fidèle à son alliance de toujours avec l’Angleterre. Il permettra ainsi aux partisans du général Giraud et à ceux du général de Gaulle de mener leur propre diplomatie à Lisbonne. En s’attachant à l’étude des sources diplomatiques françaises, Patrick Gautrat met en lumière les limites de la politique étrangère de Vichy et la surprenante patience portugaise à son égard. Mais l’attente, au Portugal, est souvent une attitude nationale.

De leurs côtés, les universitaires Olivier Dard et Ana Isabel Sardinha Desvignes publient une étude très complète sur la réception enthousiaste de Salazar par une partie de la droite française. Issu du catholicisme social, professeur à l’université de Coimbra, Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970) a très tôt suscité un intérêt certain dans l’Hexagone, notamment au sein de la droite maurrassienne. Son premier thuriféraire français est un écrivain et critique portugais, Antonio Ferro (1895-1956) qui publie, en 1934, chez grasset, un essai intitulé Salazar. Le Portugal et son chef, préfacé par Paul Valéry. À partir de là va se forger un véritable salazarisme français autour de Léon de Poncins, Henri Massis, Charles Chesnelong et, plus étonnant, Émile Servan-Schreiber. Après l’intérêt des théoriciens vint le temps des écrivains voyageurs : on rangera, ici, des femmes comme Gabrielle Réval et Christine Garnier restée célèbre pour ses Vacances avec Salazar (1952), et aussi le Belge Albert t’Serstevens (L’Itinéraire portugais, 1940). Cet ouvrage revient aussi sur l’intérêt porté à la veille de la guerre par le colonel de La Roque sur l’expérience salazariste. Après la Seconde guerre mondiale, de nouveaux noms apparaissent, aux premiers rangs desquels le colonel Rémy, officier maurrassien, héros de la Résistance, compagnon de la Libération, et Jacques Ploncard d’Assac, réfugié au Portugal à la Libération après son passage à Vichy. Le dernier avatar significatif du salazarisme français date de 1972  : c’est la préface de Michel Déon (1919-2016), pas encore membre de l’Académie française, aux écrits politiques du successeur désigné par Salazar, Marcelo Caetano, qui sera balayé par la révolution des Œillets, en 1974. « Chef » plus que « dictateur », fondateur d’un régime adulé par une partie de la droite, mais honni par la gauche, Salazar bénéficie encore aujourd’hui d’un large courant de sympathie au Portugal. Puissent ces ouvrages de grande qualité relancer en France l’intérêt historique pour cette expérience politique singulière malgré sa face sombre.
 

Patrick Gautrat, Pétain, Salazar, de gaulle. Affinités, ambiguïtés, illusions (1940-1944), Chandeigne, 2019, 22 €

Olivier Dard et Ana Isabel Sardinha-Desvignes, Célébrer Salazar en France (1930-1974), Peter Lang, 2018, 45 €

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