Que reste-t-il de la démocratie chrétienne ?

France Forum, n° 75, décembre 2019

Revue France Forum

« Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu »
Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu (chapitre 22, Ancien Testament)

Pendant plusieurs siècles, religion et politique ne faisaient qu’un. « Croire » et « savoir » rythmaient alors la vie de la cité sans s’opposer frontalement. Le pouvoir  politique – d’essence séculier et mû par les notions d’intérêt général et de bien public – et l’expression publique de la foi – par nature personnelle et privée – allaient de pair jusqu’à ce que la Réforme, au tournant du XVIe siècle, ne vienne bouleverser cet ordre établi.

La désacralisation de la politique, par le truchement de la loi de 1905 qui constitutionnalise la séparation des Églises et de l’État, achève l’ordonnancement de la respublica.

Pourtant, à mesure que le continent européen subit la douloureuse épreuve de plusieurs guerres, l’identité chrétienne de nombreux responsables politiques
favorise l’expression, sur la scène publique, des valeurs sociales et économiques prônées par l’Église, à l’image du libéralisme, de l’humanisme, de la fraternité, du solidarisme…

Dans les années 1950, à partir de l’héritage de la Résistance, puis du projet institutionnel communautaire et du dessein fédéraliste européen, naît la démocratie chrétienne, mètre-étalon de la construction européenne.

Forts et actifs dans les pays de tradition chrétienne et particulièrement catholique – Portugal, Espagne, Allemagne, Autriche, Italie, Belgique et Luxembourg, entre autres –, les partis qui s’identifient alors à la démocratie chrétienne exercent le pouvoir et tentent de porter une vision politique du
christianisme.

Ainsi, en France, la démocratie chrétienne a eu plusieurs contours : Le Sillon de Marc Sangnier, le Mouvement républicain populaire (MRP) qui a compté trois des siens à la présidence du Conseil (Robert Schuman, Georges Bidault, Pierre Pflimlin), le Centre démocrate (CD) et le Centre des démocrates sociaux (CDS) dont l’histoire est indissociable de celle de Jean Lecanuet et l’Union pour la démocratie française (UDF) créée en 1978 alors que Valéry Giscard d’Estaing préside aux destinées du pays.

Alors que la démocratie chrétienne montre des signes d’essoufflement, voire d’extinction, en europe, elle demeure, y compris sous une forme partisane, une expression vivante et dynamique sur les continents latino-américain, africain et, dans une moindre mesure, asiatique.

En parallèle, le concept d’une expression politique liée à une religion s’enrichit d’une démocratie musulmane qui tente d’emprunter les mêmes chemins que celui entrepris par la démocratie chrétienne en Europe.

Émergent ainsi de nombreux partis et responsables politiques arabo-musulmans se revendiquant d’un « islam du juste milieu », soucieux du respect de la laïcité sur le plan politique autant que de l’ancrage des valeurs musulmanes traditionnelles sur le plan sociétal.

Ce numéro de France Forum invite à interroger la modernité et la légitimité du concept de démocratie chrétienne dans un monde globalisé où les valeurs cardinales de l’identité européenne peuvent, parfois, être remises en cause.

Emmanuel Dupuy
président de l’Institut Prospective
et Sécurité en Europe

France
Vie politique française
Union européenne
Construction européenne
© France Forum
Revue payante
Version numérique
Version papier
x
x