Quelques semaines avant la signature, à Rome, par les six pays fondateurs des traités créant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, ce que l’on retient de l’entretien de Robert Schuman publié dans ce numéro initial est son réalisme géopolitique et l’affirmation que « dans la répartition internationale des responsabilités qui incombent à cet égard aux pays industriels, l’Europe est tout naturellement désignée pour prendre en charge le développement des économies africaines ». Soixante ans après, ce nouveau numéro de France Forum, qui fait suite à celui appelant à « Repenser l’Afrique », apportera des éléments de réponse quant à l’évolution du projet européen et à sa capacité de relever les exigences d’une telle proximité géographique.
Pour ce faire, il convient de noter, en premier lieu, le nouvel environnement politique en France, bousculant aussi bien les observateurs que les « pratiquants politiques » bien installés, brouillant les clivages traditionnels et dont la perspective annoncée de « transformation » du pays se nourrit de mots comme ouverture internationale, refondation européenne, promesse d’émancipation et de protection, conquête des marchés... Sans préempter la nature européenne et l’effectivité des résultats souhaités, notons – positivement – qu’il s’agit d’une réponse, majoritaire, aux déclinistes ! En même temps, la permanence de défis existentiels – encore et toujours – secouant le continent européen et en particulier l’Union européenne nous offre l’occasion de faire le point sur quelques aspects particuliers de cette organisation continentale.
Mais il faut immédiatement prévenir le lecteur. Nous n’avons pas cherché l’exhaustivité, ni même une systématicité thématique traditionnellement utilisée pour couvrir l’ensemble du spectre des activités européennes. Certains sujets récurrents de notre actualité quotidienne sont quasiment absents comme la transition écologique, le couple franco-allemand, les tensions géostratégiques et de politique étrangère, le renforcement de la zone euro... Pire, certaines politiques communautaires, notamment celles relevant de la compétence exclusive de l’UE, souvent les plus efficaces (politique de la concurrence, politique commerciale, politique agricole commune, politique monétaire), et certains secteurs prometteurs (la fiscalité et les GAFA, l’Union de l’énergie, la finalisation de l’Union bancaire) ne sont pas abordés. D’autres le font très bien, ailleurs et régulièrement.
Deux objectifs ont guidé l’élaboration de ce numéro : d’une part, ouvrir nos colonnes à des auteurs étrangers, souvent jeunes, jamais publiés en français, qui nous obligent à penser l’Europe depuis Bratislava, Bucarest, Budapest, Prague ou Varsovie ; d’autre part, se tourner autant que possible vers des personnalités qui considèrent depuis longtemps (comme les fondateurs de la revue) que l’Union européenne doit inspirer et représenter un ensemble politique international qui intègre les nations sans les dissoudre « dans une communauté enfin replacée à l’échelle des forces universelles ». Qu’ils en soient remerciés car les articles proposés contribuent ainsi à mieux appréhender l’actuelle constellation européenne, en attendant mieux.
François Lafond
enseignant à Sciences-Po
président de Blue Networks and Opportunities
