Un peu comme avec de proches amis, si fidèles qu’on finit par les négliger, voire par les maltraiter, au contraire de relations purement intéressées dont on chante les louanges. C’est un peu de cette amitié déçue dont parlent plusieurs auteurs de cette livraison qui ravira les amoureux de l’Italie et les chantres de l’amitié franco-italienne. Oui, il était temps de braquer les projecteurs sur l’Italie, notamment pour comprendre pourquoi la France a tendance à délaisser son ami et voisin transalpin et méditerranéen. Une raison simple à cette amitié un peu compliquée tient à la complexité de l’Italie.
Sa politique, d’abord, avec ces partis qui se transforment constamment et ces configurations gouvernementales improbables. L’ennemi devient ami qui redevient ennemi avant de disparaître ou de renaître sous une autre forme. Son organisation régionale, si éloignée de la légendaire centralisation française, aussi horizontale que la nôtre est verticale. Son économie, enfin, que l’on hésite à considérer comme forte ou faible avec ses milliers de PME et TPE si créatives et agiles, mais aussi ses déficits budgétaires abyssaux. Bref – et il faut excuser leur esprit cartésien –, les Français finissent par renoncer à comprendre et prennent juste l’Italie et les Italiens en ce qu’ils peuvent augmenter les grands et petits plaisirs de la vie ; leur vie de touristes, de mélomanes, de cinéphiles, de muséophiles, de gastronomes, de passionnés de football ou d’amateurs de belles cylindrées et de courses automobiles. L’Italie se voit ou se rêve en puissance européenne, voire mondiale, mais la France, par arrogance, intérêt ou paresse intellectuelle, ne la voit pas comme cela. Elle ne voit pas ses performances à l’exportation, son niveau de recherche et de développement, ses efforts pour se réformer, sa présence influente au sein du G7 et du G20 – qu’elle préside actuellement – ou de l’Otan, sa « profondeur stratégique » – balkanique, méditerranéenne et africaine –, ses liens particuliers avec la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie et, bien sûr, les États-Unis.
En parcourant ce France Forum spécial Italie, beaucoup s’étonneront ainsi que certains de nos auteurs puissent imaginer que, dans ce contexte post-Brexit, post-Merkel et post-Covid (c’est à souhaiter), un couple franco-italien vienne remplacer le couple franco-allemand pour guider l’avenir de l’Union européenne. Le futur traité du Quirinal pourrait-il avoir la même ambition et la même portée que celui conclu entre la France et l’Allemagne ? Ce simple exemple permet de rappeler à quel point l’Italie et ses dirigeants politiques tels Alcide De Gasperi ou Alterio Spinelli ont été décisifs dans la construction européenne. Évidemment, les dérives populistes de la vie politique italienne, de Silvio Berlusconi à la Ligue de Matteo Salvini et au Mouvement 5 étoiles, n’ont pas aidé à plaider la cause de l’Italie, rappelant plutôt les tristes pages de la période mussolinienne que l’humanisme des pères fondateurs ou l’européanisme ardent d’un Enrico Letta, d’un Romano Prodi ou d’un Mario Draghi. Les Français auraient d’ailleurs bien fait de s’intéresser davantage à la construction de ces déviances politiques, la France n’étant pas à l’abri d’une telle situation. Ceux qui croient que la situation politique de l’Italie ne peut pas se reproduire en France sont les mêmes qui pensaient, lorsque la Covid agressait l’Italie, vidant ses rues et ses places ordinairement noires de monde, que le virus allait respecter sagement la frontière entre les deux pays. Mario Draghi, aujourd’hui à la tête du gouvernement italien, est un immense motif d’espérance pour tous ceux qui aiment l’Italie, qui aiment l’Europe et qui aiment la perspective d’une France et d’une Italie à l’alliance et à l’amitié, non seulement retrouvées, mais de nouveau fertiles. Des efforts sont à faire des deux côtés des Alpes pour traduire les espérances contenues dans ce numéro de France Forum, mais ils en valent la peine.